Sur le terrain, à Genève comme à New York, Mbaidjol a consacré sa vie professionnelle à la défense des droits de l’homme et des réfugiés. Les sourires d’une famille qui vient d’obtenir le statut de réfugié ou de l’étudiant qui peut enfin s’inscrire à l’université dans son pays d’asile pour reprendre ses études, le cri de victoire de celui qui, resté bloqué dans son pays en guerre, retrouve les siens, le bonheur d’une mère retrouvant son enfant perdu, les pleurs de joie de réfugiés africains prenant l’avion pour les États-Unis… Ces souvenirs encore empreints d’émotion supplantent ceux des moments douloureux, comme en 2000 où, alors qu’il était représentant régional du HCR pour l’Afrique centrale, les conséquences d’un changement brutal du pouvoir à Kinshasa coûtèrent la vie à des collègues investis dans des opérations humanitaires d’urgence.
Lorsqu’en 1960 le Tchad accède à l’indépendance, combattre l’analphabétisme est une priorité. Pourtant, le petit Mbaidjol ne fréquente pas l’école de son petit village : sa famille a besoin de lui pour garder les chèvres. Par chance, les parents hébergent l’instituteur qui organise des séances d’apprentissage de la lecture sur le seuil de la maison, à la lueur d’une lampe tempête. Le gamin, qui connaît quelques rudiments d’alphabet, se glisse souvent dans le groupe. Un jour, le maître le remarque. Dés le lendemain, il le traîne à l’école.
Mbaidjol sait très vite lire et compter. Il obtient son baccalauréat en quatre ans, puis entre à l’École nationale d’administration de Ndjaména où il suit un double cursus d’administrateur et de juriste. Diplôme en poche, le jeune administrateur civil sert son pays pendant deux ans, au Caire puis à N’Djamena, avant d’accéder grâce à une bourse à une formation diplomatique au Cameroun.
Là, on l’encourage à continuer sa formation à Genève, à l’Institut universitaire de hautes études internationales et du développement. À la même époque, la guerre civile fait rage au Tchad. Quel avenir attend Mbaidjol dans ce pays devenu dangereux, où certains de ses proches ont été tués, voire sommairement exécutés ? Il décide de rester en Suisse, où il réussit à entrer au Haut-Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés (HCR).
Ayant entretemps obtenu son doctorat, il devient en 1984 administrateur-adjoint chargé de la protection des réfugiés au siège du HCR à Genève. Ce poste l’aidera à faire son deuil du retour compromis et le consolera de ne pas avoir pu servir la haute fonction publique tchadienne. « Nous sommes tous des réfugiés, personnes déplacées ou apatrides potentiels », se plaît-il encore à dire aujourd’hui.
Après plusieurs affectations sur le terrain, son expérience est jugée suffisante pour un poste de directeur adjoint au Bureau du HCR à New York. Mbaidjol renoue ainsi avec la diplomatie et les relations internationales pour promouvoir son organisation et la cause des réfugiés, des personnes déplacées et des apatrides, parfois devant le Conseil de sécurité. Il rencontre de nombreux personnages influents et intervient dans plusieurs universités et écoles prestigieuses. En 2003, Mbaidjol retourne à Genève en tant que Directeur adjoint de la Division de la protection internationale, poste où il apprécie plus largement le problème des réfugiés, personnes déplacées et apatrides. En 2009, après une parenthèse de deux ans à la tête du Bureau new-yorkais du Haut-Commissaire aux droits de l’homme, il est rappelé à Genève par le Haut Commissaire pour les Réfugiés, Antonio Guterres, pour diriger le Bureau de la déontologie du HCR. Ces nouvelles responsabilités dans un domaine balbutiant enrichiront ses compétences et lui donneront accès à de nouveaux réseaux, ce qui lui vaudra d’entrer au Comité d’éthique de la FAO, dont il assurera la présidence de 2011 à 2016.
Mbaidjol considère la formation comme un précieux bagage. Il n’aurait certainement pas « gravi les échelons de la vie moderne » pour se hisser dans un monde qu’il ne pouvait même pas imaginer, s’il n’avait pas lui-même été aidé. À la retraite depuis 2012, il pense que s’il devait tout recommencer il s’attacherait davantage à la formation des fonctionnaires, notamment sur les questions de loyauté, d’intégrité et de probité. Une formation continue et personnalisée est nécessaire si l’on veut que les fonctionnaires « se donnent » davantage pour s’approcher d’un certain idéal de compétence et de leadership, alors que les zones de conflits se multiplient au détriment des efforts de développement. Les personnes qui entrent à l’ONU aujourd’hui « doivent rêver plus grand encore » et se comporter avec passion « comme le chef dans sa cuisine, le peintre ou le dessinateur dans son atelier, le musicien sur scène, l’architecte ou l’athlète sur le terrain », parce que « cette passion met à l’abri des erreurs dues à la négligence » et préserve l’envie de faire toujours mieux.
Elle « met aussi à l’abri des tricheries » et « alimente l’intégrité et le sens de la responsabilité et du devoir accompli ».