UN MEMORIES

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Pour Agnès Collardeau, la persévérance paie sur le long terme

La course de fond d’une onusienne passionnée
La probabilité qu’Agnès Collardeau pousse un jour la porte du Palais des Nations et y reste 37 ans était faible, mais le hasard fait bien les choses
1 Dec 2022

L’ONU est un cocktail improbable de profils et de talents, une sorte de millefeuilles dont chaque couche recèle de savoureux secrets. Il est toujours passionnant, tel un géologue, d’en explorer les profondeurs. Et la géologie mène à tout, y compris à l’ONU. 

Agnès terminait des études de géologie à l’université de Lyon lorsqu’elle croisa le chemin d’un certain Bernard Clavel. Ce fonctionnaire de l’ONU passionné de géologie, qui se rendait toutes les semaines à Lyon pour collaborer avec les chercheurs, trouva qu’elle avait du potentiel et lui proposa de rejoindre l’Organisation.

L’offre était tentante: les horaires étaient suffisamment souples pour permettre à la jeune étudiante de terminer sa thèse, et il s’agissait de s’occuper d’une base de données… sur les minéraux et les métaux. Agnès n’avait que des bases théoriques en statistique, mais Clavel lui faisait confiance, et elle sentait que dans le milieu scientifique de l’époque les chances d’une jeune femme de trouver un travail de géologue étaient plutôt minces.

La jeune femme accepta de s’éloigner de sa famille, de ses amis et de ses habitudes pour s’expatrier à 200 km de son cocon lyonnais. Ironie de l’époque, pour devenir fonctionnaire des Services généraux (G), elle dut se résoudre à cacher son niveau d’études.

De 1981 à 2018, date de son départ en retraite, Agnès a été statisticienne, principalement à la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement, avec un passage de quelques années dans la division statistique de la Commission économique pour l’Europe (CEE), où elle travaillait sur l’éducation et la problématique du genre. De retour à la CNUCED, elle beaucoup travaillé sur le thème des Pays les moins avancés.

Au début de sa carrière, on déroulait encore de grands listings IBM, les yeux rivés sur un écran de terminal où tout était écrit en langage informatique en vert sur fond noir. « On récoltait les informations manuellement dans les annuaires statistiques nationaux dans les bibliothèques du GATT et de l’ONU. L’arrivée des PC et des logiciels ainsi que les bases de données en ligne et la mise en place dans la plupart des pays d’outils informatiques ont grandement amélioré l’accès à l’information, ainsi que la qualité et l’autonomie du travail. »

La nature du travail d’Agnès a considérablement changé au fil des années. De la gestion des bases de données, elle s’est peu à peu orientée vers la recherche et l’analyse d’informations de plus en plus précises, variées et récentes, en interaction avec ses collègues économistes. L’utilisation de ces données pour différentes publications et la mise en valeur des informations chiffrées au moyen de l’infographie ont participé à la diversité et à l’attrait de cette activité professionnelle tombée du ciel.

Agnès s’est principalement formée « sur le tas », parce que ça l’intéressait. Elle a reçu quelques formations de base (notamment aux logiciels Excel et Illustrator), mais elle dû dans l’ensemble, pour tracer son chemin, se débrouiller seule ou compter sur l’aide des collègues. Elle ne considère pas avoir eu une « carrière » proprement dite, puisqu’elle est resté au grade G-6 pendant 34 de ses 37 années de vie professionnelle à l’ONU. « Le plafond de verre pour les fonctionnaires des Services généraux existe bel et bien et les postes G-7 sont non seulement très rares mais en voie de disparition, alors qu’ils valorisent l’expérience acquise », déplore-t-elle. « J’aurais aimé pouvoir changer plus facilement de division ou d’organisation, avoir la possibilité de faire des formations ciblées au sein de l’institution pour peut-être présenter le concours G à P (Administrateur) et pour évoluer vers un poste de responsable. J’aurais aimé que l’ONU me propose des préparations pour m’aider à passer cet examen spécifique, qui d’ailleurs est trop peu souvent proposé pour les statisticiens. » Agnès estime que d’une certaine manière l’ONU n’a pas su tirer parti de son engagement et de ses compétences. « Dans d’autres organisations comme le HCR ou l’OMS, un fonctionnaire G pouvait partir sur le terrain et revenir avec le statut P. À l’ONU, c’était impossible. »

Pour autant la jeune retraitée ne regrette pas les quatre décennies qu’elle a données à l’ONU. Son travail l’a toujours passionnée et elle y a fait de multiples découvertes. Elle se souvient particulièrement d’une mission de conseil sur une nouvelle politique de développement incluant un volet statistique effectuée aux Comores avec l’une de ses collègues économiste. Ce fut une révélation sur le sens de son travail, sur le rôle et l’impact de l’ONU et sur « les attentes, vis-à-vis de nos institutions, des pays pour lesquels nous œuvrons et qui sont en quelque sorte nos “clients” ».

Grande sportive, Agnès a été un pilier du Club de course à pied de l’ONU (UN Running Club), dont l’équipe féminine a participé à plusieurs reprises aux Jeux interorganisations, « une formidable occasion de réaliser que nous appartenons tous à une grande famille onusienne, au sens large, qui vit et travaille aux quatre coins du monde sur des problématiques extrêmement variées ». Un autre type de mission, un autre motif de fierté, lorsqu’on entre à Genève « avec coupes et médailles juste derrière les kenyanes ! ».

Agnès garde aussi vivement en mémoire sa participation, en tant que membre externe et neutre (après avoir suivi la formation nécessaire), à des jurys de recrutement, aussi bien dans sa division que pour d’autres services: « des interventions très enrichissantes sur le plan personnel, et qui m’ont fait découvrir des modes de fonctionnement et des métiers très différents mais essentiels ».

Et ce n’est pas tout. Agnès a donné à celles et ceux qui n’auraient pas eu le plaisir de la croiser pour des raisons professionnelles l’occasion de la connaître à travers les nombreux personnages qu’elle a incarnés dans les spectacles du Club Théâtre de l’ONU, dont elle fut même quelques années la présidente. « Nous avons offerts des spectacles de qualité, je pense, et de réelles amitiés en ont découlé. » 

Quatre ans après avoir quitté l’organisation, Agnès dit appartenir « au “monde d’avant” où les cours et les formations avaient lieu en groupe, dans une salle. Formidables lieux de rencontres et d’échanges… ». Si elle avait quelque chose à dire à celles et ceux qui ont pris la relève, ce serait « N’hésitez pas à quitter vos écrans ! Sortez du cadre ! Participez aux formations proposées et à des activités non-professionnelles ou organisez-en (théâtre, sport, musique etc…). Elles vous permettront de rencontrer des personnes différentes de votre univers quotidien, de vous faire connaitre, de vous faire apprécier au sein de l’organisation et de découvrir d’autres métiers et d’autres services pour faciliter votre mobilité professionnelle. »

« Soyez fiers d’être un membre actif des Nations Unies, appréciez la diversité culturelle, vous croiserez des gens formidables et enrichissants ! » 

* Olivier Meyer est membre du Comité de rédaction de UN Today.
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