UN MEMORIES

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Odile Sorgho Moulinier © ODILE SORGHO MOULINIER ARCHIVES

L’appel du village
Plutôt que s’étendre sur ses 32 années passées à l’ONU où elle a notamment été représentante résidente, Odile Sorgho Moulinier préfère parler de son père
1 Jul 2023

“C’était un homme exceptionnel auquel je voue une admiration sans faille, dont le parcours et les valeurs me servent de boussole”, s’exclame Odile. Né vers 1920, Mathias Sorgho grandit à Moaga, un village du Burkina Faso à 200km de la capitale, Ouagadougou. Fils du chef du village, il intègre sur ordre de son père l’école de Tenkodogo à 20km. À force de persévérance, il devient instituteur, directeur d’école, puis ministre de l’éducation. Convaincu que l’éducation est l’un des éléments clé du développement et qu’il est essentiel de cultiver l’excellence, il crée en 1963 la première école primaire de Moaga.

L’excellence et l’engagement sont les deux piliers sur lesquels sa fille construit sa vie. De New-York à Genève en passant par les Caraïbes et l’Afrique, cette spécialiste en droit international et diplômée de Sciences-Po, est amenée à gérer de grands bureaux sur le terrain comme aux sièges ainsi que des programmes d’envergure financés par d’importants donateurs. Certaines de ses fonctions, comme celles de Coordinatrice résidente des activités de l’ONU au Sénégal puis de Directrice du bureau du PNUD à Genève, lui permettent de déployer ses talents de diplomate.

À l’heure d’entamer une nouvelle tranche de vie, elle sent « l’appel » de son village natal, Moaga. « Je me suis demandée ce que je pouvais faire pour perpétuer l’héritage paternel et en être digne. Devenu ministre, puis ambassadeur, mon père est resté un homme simple attaché à son village et soucieux d’aider les jeunes et les plus nécessiteux. J’ai choisi de contribuer à développer son école. Fréquentée par les enfants des dix villages alentours, c’est aussi un point d’ancrage pour créer une dynamique de développement communautaire. »

Le Burkina Faso est l’un des pays les plus pauvres dans le monde © Pixabay

Avec quelques amis, anciens fonctionnaires de l’ONU et de la Banque mondiale, elle crée en 2008 l’Association Genève pour Moaga (GPM) qui obtient des financements de la ville de Genève et des communes de Lancy, Meyrin, du Grand-Saconnex ainsi que de la Fondation Symphasis.

Œuvrant en tandem avec un groupement local composé de toutes les strates de la population et centré sur l’économie, l’environnement et l’émancipation des femmes, elle conçoit un projet avec la Fondation pour le développement communautaire, une ONG locale. Il s’agit d’éviter que les enfants désertent l’école. Bien que gratuite celle-ci reste un investissement pesant pour les familles qui doivent contribuer à la cantine et se priver de l’aide des enfants pour les travaux des champs et domestiques. De plus, dans la province un enfant sur deux est en insuffisance pondérale et la malnutrition est élevée dans ce pays parmi les plus pauvres au monde (revenu moyen par habitant inférieur à 900 dollars par an).

La priorité est donc donnée à la création d’une cantine. Différentes mesures sont prises afin de la rendre aussi autonome que possible en approvisionnement et d’en faire une occasion de former au maraîchage et à l’élevage. L’école est bientôt dotée d’un réfectoire/salle polyvalente, un forage alimenté par une pompe solaire, des lave-mains, des latrines et un mur d’enceinte de sorte que ni les marchands ni les animaux n’envahissent la cour de l’école. « Le succès a été au rendez-vous, se réjouit Odile. D’autres villages voisins ont voulu eux aussi une école. Celle de Moaga est devenue un modèle et a été promue centre d’examens. » Par décision de l’État, l’école de Moaga porte désormais le nom de son fondateur.

Cependant, en 2016 la première attaque meurtrière de djihadistes à Ouagadougou démarre une spirale de violence. Dès 2019, Moaga et des villages voisins sont touchés. À chaque raid, pris de panique, les villageois se réfugient dans la forêt et ne cultivent leurs champs que lorsqu’ils retrouvent un peu de sécurité. Pour imposer leur loi, les djihadistes s’en prennent aux populations et aux forces armées, détruisent des lieux de cultes, ferment des cafés, et font pression pour que les filles n’aillent plus à l’école. De surcroît, des sécheresses répétées, inondations et vents violents ont fait d’importants dégâts sur les infrastructures de l’école.

Parfois, l’école ne pouvait plus assurer un repas par jour aux enfants. Pour pallier ce manque, GPM a décidé de lever des fonds afin d’acheter la nourriture nécessaire au maintien de la cantine et entreprendre les réparations des infrastructures essentielles à la sécurité des enfants. Des fonds sont aussi nécessaires pour lancer des activités génératrices de revenus pour les femmes afin de les sortir de la pauvreté.

Les défis sont d’autant plus grands que fuyant les persécutions, les déplacés des villages voisins sont désormais plus nombreux que les habitants de Moaga. « En lançant ce projet, je pensais que l’on pourrait se retirer relativement vite. Je mesure chaque jour un peu plus combien, face à la folie humaine, le développement est un impératif qui ne souffre pas de répit. On ne peut pas abandonner. Il faut au contraire s’appuyer sur les admirables capacités de résilience de ces populations pour faire barrage à la barbarie ». Et de conclure par un cri du cœur : “Aidez-nous à les aider!” 

* Muriel Scibilia-Fabre est auteure et ancienne fonctionnaire de la Conférence des Nations Unies sur le Commerce et le Développement (CNUCED).
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