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Dr Mukwege, une vie pour les survivantes de violences sexuelles
« Dans chaque conflit, les femmes sont victimes de violences sexuelles »
1 May 2022

A l’occasion de son passage à Genève pour l’inauguration officielle du Fonds mondial pour les Survivantes, le Dr Denis Mukwege, Prix Nobel de la Paix 2018, a accordé une interview unique à UN Today dans laquelle il revient sur son combat pour la dignité des victimes de violences sexuelles liées au conflit.

En 1999, vous avez fondé l’hôpital de Panzi, à Bukavu, en République démocratique du Congo. Depuis, vous vous battez pour les droits des femmes, en particulier pour la réparation des survivantes. D’où vient cet engagement féministe ?

J’ai commencé mes études de médecine en me spécialisant en pédiatrie; ce n’est plus tard que j’ai trouvé ma vocation. En allant travailler dans un hôpital dans un village reculé, j’ai été stupéfait de constater combien de femmes mouraient en couches. Dans les maternités que j’avais visitées en Occident, ce phénomène n’était ni connu ni répandu. Ça a été le premier choc pour moi : découvrir que dans mon pays, des femmes pouvaient mourir en donnant la vie. C’est ce qui m’a poussé à m’engager pour changer la situation.

Dans votre dernier livre « La force des femmes, » vous dites qu’être un homme féministe, c’est parfois vu comme quelque chose de suspect. Qu’entendez-vous par là ?

Je respecte les opinions des uns et des autres. Mais je ne sui spas d’accord pour opposer un groupe à un autre. Pour moi, le féminisme est un combat que les hommes et les femmes doivent mener ensemble pour atteindre un objectif commun : réduire les inégalités entre les genres.

Vous êtes venu à Genève avec votre co-lauréate du Prix Nobel de la Paix, Nadia Murad, pour inaugurer le Fonds mondial pour les survivantes qui vise à réparer les victimes de violences sexuelles liées aux conflits. Pourquoi avoir créé cette structure ?

Il manquait un maillon dans mon action auprès des survivantes. En tant que chirurgien, je me suis rendu compte qu’il ne suffisait pas d’opérer. Les victimes de viol sont détruites physiquement mais aussi psychologiquement. Ce qui a un impact direct sur le plan socio-économique. J’ai donc commencé par constituer une équipe de psychologues afin de leur apporter une aide plus complète. Mais il fallait encore lutter contre le rejet de la société et assurer la dignité des survivantes. En effet, les femmes qui viennent nous voir ne le font pas pour se venger. Elles ont besoin qu’une autorité compétente reconnaisse que ce n’était pas de leur faute, et qu’elles sont des victimes. Or, j’ai découvert que certaines attendent plus de 40 ans pour obtenir justice. Ce n’est pas normal.

Nous avons donc décidé de créer le Fonds afin de leur proposer une réparation intérimaire et d’accompagner les États dans l’instauration d’un fonds national. Nous considérons qu’il ne s’agit que d’une étape : cela ne doit pas remplacer le travail des États et la condamnation des bourreaux qui portent la responsabilité finale.

Lors de votre discours devant les diplomates à Genève, vous avez aussi appelé à cesser de dérouler un tapis rouge devant les bourreaux. Comment lutter contre l’impunité ?

En effet. Il faut considérer le viol comme une arme de guerre. Lorsqu’on envoie des troupes commettre de tels crimes, les violeurs ne sont pas les seuls coupables, les décideurs sont aussi responsables. Dérouler le tapis rouge sous les pieds de ceux qui organisent des viols en masse est, pour moi, une honte pour l’humanité. Nous devons arrêter cela. Il faudrait que les chefs d’État ou de groupes armés comprennent qu’une fois qu’ils ont utilisé cette méthode, leur place n’est pas dans la société mais tout à fait ailleurs.

Les conflits continuent de faire rage à travers le monde. Vous avez déclaré que chaque conflit amène son lot de violences sexuelles. Qu’en est-il de l’Ukraine ?

La population ukrainienne subit des choses innommables. J’ai été personnellement choqué par la photographie d’une femme enceinte, sortie sur un brancard d’une maternité bombardée à Marioupol. Ces hostilités sont inhumaines. Dans ce lot de souffrances, il y a évidemment de nombreuses femmes qui doivent quitter leur maison pour des destinations inconnues. Elles vont devoir affronter la souffrance, la misère. Mais nous savons aussi, par expérience, que nombre d’entre elles vont aussi subir des violences sexuelles. C’était déjà le cas pour les femmes en Ukraine depuis 2014, lors d’arrestations arbitraires. Aujourd’hui nous lançons un appel : il faut absolument que nous soyons tous mobilisés pour ne pas soigner les conséquences du viol mais le prévenir. Et c’est possible !

Vous avez 67 ans, vous opérez et vous voyagez continuellement pour sensibiliser les dirigeants sur les violences sexuelles. Où puisez-vous une telle énergie ?

Dans le sourire des survivantes. Je suis émerveillé par la force des femmes que je soigne. Certaines  étaient désespérées et avaient même des tendances suicidaires. Après avoir bénéficié d’une prise en charge holistique – médicale, psychologique, socio-économique –, elles révèlent leur capacité à se battre pour leurs droits et ceux de leurs enfants. Cette résilience est mon moteur. Les femmes ont une capacité à se relever extraordinaire, et vous stimulent à continuer. L’interview est à écouter sur : onuinfogeneve.podbean.com

* Aurore Bourdin est stagiaire au Service de l'information des Nations Unies à Genève.
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