UN MEMORIES

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La diplomatie est l’art du non-dit

La diplomatie est l’art du non-dit

La diplomatie des murmures
En matière de diplomatie, les conversations « intimes » se sont souvent avérées bien plus efficaces que les grands discours. Mais les temps changent
1 Apr 2022

1994-Haïti. Après trois ans de pouvoir des militaires, le gouvernement des États-Unis, appuyé par la communauté internationale, avait entrepris de chasser les factieux et de financer les élections constitutionnelles pour rendre au pays ses institutions malmenées par le coup d’état de 1991.

J’étais alors responsable de la division électorale de la Mission des Nations Unies en Haïti (MINUHA). Notre mandat était d’appuyer le Conseil électoral provisoire (CEP), installé à la hâte au retour du gouvernement. Toutes les organisations spécialisées dans l’aide à la démocratisation et à l’assistance électorale étaient présentes, chacune avec des contributions spécifiques. Il revenait aux Nations Unies de coordonner les activités afin d’éviter les duplications.

Chaque matin, à l’aube, y compris le samedi, les représentants de ces organisations, ceux du CEP haïtien et les diplomates intéressés, se réunissaient chez la responsable de l’USAID (principal financier de l’opération électorale) pour faire le point. Échanges d’informations sans discussion. Puis, avec un collègue, je me présentais au siège du CEP afin d’informer son président avant de m’installer dans mon bureau qui se trouvait sur la terrasse de l’édifice du dit Conseil. Il faut dire que le CEP était chichement logé et les conseillers devaient se partager un petit bureau à 4, les services administratifs étant installés dans une salle commune et au garage.

J’avais demandé au chef de l’administration de la mission, un homme de culture et d’une grande générosité, de me procurer un parasol car le soleil était difficilement supportable. En riant, il m’avait dit qu’il comprenait mais que je ne devrais pas me plaindre car je jouissais d’un privilège que le Secrétaire Général lui-même n’avait pas, celui de pouvoir fumer dans mon bureau. Je crois qu’il a payé mon parasol avec ses propres fonds, le budget ne prévoyant pas ce genre de dépense.

Toute la matinée, c’était un défilé de visiteurs : conseillers électoraux, directeurs exécutifs et autres techniciens. Dans son bureau, le président du CEP affichait le plan opérationnel actualisé que notre équipe lui remettait tous les jours et qui lui servait de repères pour surveiller les opérations. Pour nous, le respect du calendrier- logistique mais aussi financier- était d’une importance cruciale.

Cette pratique s’est poursuivie pendant 15 mois. Quand je devais visiter les bureaux départementaux, un collègue prenait la relève. On n’écrivait rien, mais on écoutait beaucoup et on parlait le nécessaire. Nous recueillons ainsi toutes sortes d’informations, qu’il s’agisse des équipements bloqués par la douane, des salaires non versés aux cadres dans les provinces ou encore de la lenteur de la formation des agents ainsi que de leurs conditions de vie.

C’est, je crois, ce genre de conversations, ces échanges d’expériences qui ne sont nullement des tuteurages, qui m’ont permis de construire une relation de confiance et de complicité durable avec mes interlocuteurs. Lors de mon dernier séjour en Haïti, avant la pandémie, j’ai revu avec joie certains d’entre eux et tous m’ont demandé « Quand êtes-vous rentré ? » au lieu du « Quand êtes-vous arrivé ? » réservé aux vrais étrangers.

Cette forme d’appui, via des discussions intimistes, que les Anglo-Saxons appellent « the whisper diplomacy », nous l’avons pratiquée en Amérique Centrale et, dans mon cas, lors de mes missions en Afrique, plus particulièrement en Érythrée, Guinée et Afrique du Sud. Des soirées entières à partager avec nos partenaires nationaux la nourriture ou les boissons, (sans oublier les parties de tennis le week- end) afin d’identifier et comprendre quels étaient les obstacles et de trouver des solutions ; le tout sans discours grandiloquents, surtout quand il fallait rappeler les valeurs fondamentales, telle était notre pratique et notre expérience d’accompagnement technique.

Après l’attentat en Irak en 2003, je pense que cette pratique n’est plus possible. J’ai constaté lors de mes missions en Afghanistan en 2003, en Irak en 2004 et en Haïti en 2016 – 2017 que les relations sont devenues plus formelles et surtout plus limitées à cause des impératifs de sécurité. Les Nations Unies ne sont pas seules concernées. Un ami, ancien haut fonctionnaire de l’USAID, retrouvé à Bagdad en 2004 me disait : « J’étais au Vietnam entre 1969 et 1972. On y avait 500,000 soldats. Malgré cela, j’ai pu accompagner celle qui est devenue ma femme sur la plage. Bon, d’accord, j’avais une arme. Mais c’est tout. Ici, je ne peux même pas sortir de la zone verte sans une section de garde-corps. Dans ces conditions, comment se rendre compte de l’état des travaux, de l’esprit des gens et comment se faire admettre par eux ? » Nos expériences datent d’un autre temps et ne sont que cela. Je mesure les difficultés des collègues encore actifs qui doivent construire des relations de confiance à partir de leur bunker, avec les moyens de communication à distance (pas toujours fiables). Raison de plus pour admirer leur volonté, leur créativité et leur dévouement.

* Dr. Dong Nguyen Huu est Ancien haut responsable politique de l’ONU et ancien membre des missions d’observation de l’ONU. Membre de Greycells.
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