GLOBAL AFFAIRS

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Pascal Boniface, Directeur de l’IRIS © P. Boniface archives

Vers de nouveaux équilibres mondiaux
Directeur de l’Institut de Relations Internationales et Stratégiques (IRIS), Pascal Boniface décrypte les conséquences du conflit en Ukraine
1 Nov 2023

Fondateur de l’IRIS, un des principaux centres français de recherche en matière de relations internationales et de stratégies, Pascal Boniface anime une chaîne Youtube « Comprendre le monde ». Auteur de plus de 70 ouvrages, il vient de publier « Guerre en Ukraine. L’onde choc géopolitique. »

En quoi le conflit armé en Ukraine marque-t-il un tournant inédit dans les relations internationales?

C’est un événement d’une grande importance mais cela ne constitue pas une rupture systémique. La guerre en Ukraine amplifie et cristallise des tendances préexistantes. Cette guerre n’est pas la première sur le continent européen depuis la fin de la guerre froide mais c’est la première fois que les occidentaux se sentent menacés, considérant qu’elle bouleverse l’ordre stratégique. Face à la menace militaire et nucléaire russes, il leur apparaît que seuls les Etats-Unis sont en mesure de les protéger. L’OTAN, en tant que structure de sécurité, s’est renforcée avec notamment l’entrée de la Suède et de la Finlande, deux pays qui ont toujours été neutres même pendant la guerre froide. Le paradoxe, c’est que tandis que le leadership américain se raffermit en Europe, il s’effrite partout ailleurs. Les pays du Sud global ne veulent pas être mêlés à ce conflit perçu comme se jouant entre pays européens tout en reconnaissant qu’ils en subissent les conséquences négatives. Par ailleurs, la rupture entre la Russie et le monde occidental est durable. Il semble peu probable de pouvoir renouer des relations « normales » tant que le régime actuel sera en place.

En janvier 2024, six pays vont rejoindre le groupe des BRICS qui comprend l’Afrique du Sud, le Brésil, la Chine, l’Inde et la Russie. Quelles sont les conséquences de cet élargissement ?

Il s’agit de l’Arabie saoudite, des Émirats arabes unis, de l’Argentine, l’Iran, l’Éthiopie, et l’Égypte. Outre de faire contre-poids à l’ordre mondial, dominé par les puissances occidentales, le renforcement des BRICS est un pas de plus contre le dollar en tant que monnaie d’échange internationale. En août, lors de leur sommet à Johannesburg, ils ont annoncé vouloir “dédollariser” leurs échanges.

Les BRICS sont-ils en train de remplacer le G77 en devenant le porte-voix des pays du sud?

Sans remplacer le G77, il est clair qu’ils prennent de plus en plus d’importance. Ils représentent une part très importante de la population et de l’économie mondiale. A onze, il est plus facile d’être cohérent. Comme le G20, ils organisent un sommet annuel. S’agissant du conflit en Ukraine, ils ont opté pour une neutralité active. Aucun membre n’a condamné l’agression ni pris de sanction contre la Russie.

Que doivent faire les pays d’Afrique pour obtenir la place qui devrait leur revenir dans la recomposition en cours au plan mondial?

Leur admission au G20 est un succès important. À la fin du 20ème siècle, on qualifiait le continent africain de « perdu pour la mondialisation ». Aujourd’hui, c’est celui qui représente l’avenir de la mondialisation. On assiste à une bataille d’influence pour conquérir le cœur et l’esprit des Africains. De nombreux pays, parmi lesquels la Chine, l’Inde, les Etats-Unis, le Brésil, les Émirats arabes unis, la Turquie ainsi que l’Europe, cherchent à se rapprocher de l’Afrique et y être présents.

L’Afrique est-elle de plus en plus courtisée pour être de plus en plus pillée?

Tout le monde veut accaparer ses matières premières. Mais comme les pays du continent sont multicourtisés, ils ont plus d’options. Je n’irais pas jusqu’à dire qu’ils ont les cartes en main parce que la situation économique et stratégique de bon nombre d’entre eux reste fragile, mais ils sont moins dépendants.

Alors que les défis économiques, environnementaux et sociétaux lient les populations du globe, les concertations entre Etats sont plus nécessaires que jamais. Comment transformer l’ONU pour qu’elle soit mieux adaptée à la nouvelle donne mondiale?

Il importe de garder à l’esprit que l’ONU est un instrument pas une baguette magique. À partir du moment où les grandes puissances entretiennent des relations confrontationnelles, l’ONU est relativement impuissante. Toutefois, contrairement à ce que pensent certains, le monde irait plus mal si l’ONU n’existait plus. 

Elle permet de mettre de l’huile dans les rouages de la vie quotidienne internationale et de faire de la prévention. Transformer l’ONU peut passer par un élargissement de la composition du Conseil de sécurité. Il est composé de 15 membres mais seuls cinq d’entre eux sont permanents et peuvent exercer un droit de véto : Chine, États-Unis d’Amérique, Fédération de Russie, France et Royaume-Uni. Ce qui bloque le fonctionnement du Conseil. Les pays démocratiques des BRICS sont candidats.

Dans un an les chefs d’Etat et de Gouvernement vont se réunir à New York pour conclure un Pacte pour l’avenir. Quelles perspectives peuvent-ils donner aux 2 milliards de jeunes de moins de 14 ans pour créer un futur désirable?

Il reste essentiel de trouver des moyens de coopération malgré la guerre en Ukraine qui obscurcit le paysage international sans pécher par excès d’optimisme. En période de conflit, quand les perceptions sont aussi divergentes, il reste difficile de trouver des points d’accord et de faire des concessions.

Le conflit en Ukraine a quasiment fait sauter l’Agenda 2030. Est-il encore un outil pertinent?

Bien sûr. Une partie des objectifs fixés vont être atteints. Bien que la guerre en Ukraine ait détourné l’attention, le travail continue. 

* Muriel Scibilia-Fabre est auteure et ancienne fonctionnaire de la Conférence des Nations Unies sur le Commerce et le Développement (CNUCED).
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