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Universel et Régional réunis pour coordonner leurs interprétations
Depuis 2016, c’est devenu une tradition… Le Comité contre la torture, avec le soutien de la Fondation René Cassin – Institut international des droits de l’Homme (Strasbourg – France), invite les trois juridictions de protection des droits de l’Homme à venir à sa rencontre. Au-delà de l’aspect diplomatique qui sied à toute rencontre de cette […]
9 Apr 2020

Depuis 2016, c’est devenu une tradition… Le Comité contre la torture, avec le soutien de la Fondation René Cassin – Institut international des droits de l’Homme (Strasbourg – France), invite les trois juridictions de protection des droits de l’Homme à venir à sa rencontre.

Au-delà de l’aspect diplomatique qui sied à toute rencontre de cette nature, l’objectif de cette initiative est de répondre à un impératif de coordination des pratiques et des interprétations. Les organes de traités évoluent en effet dans un système conventionnel particulièrement dense impliquant une ouverture et une concertation permanente avec l’ensemble des institutions, juridictionnelles ou non, agissant dans le domaine des droits de l’homme. Si dans le cadre onusien, cette coopération est presque naturelle du fait de la mutualisation de certains services du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’Homme et de la proximité de nombreuses agences, elle était jusqu’alors délicate avec les juridictions africaine, européenne et américaine. Cette réunion annuelle vient donc combler un vide et permet aussi et surtout de renforcer l’action du Comité contre la torture qui joue par cette initiative un rôle moteur dans la coordination internationale en matière de protection des droits de l’Homme. Organisée sur la base d’un programme de travail focalisé chaque année sur des thématiques spécifiques, cette rencontre permet aux juges et aux experts de définir des lignes d’interprétation, d’échanger sur des questions juridiques sensibles afin d’éviter les conflits d’interprétation. Ces derniers, malheureusement récurrents dans la pratique, constituent incontestablement un frein dans le respect des engagements conventionnels des Etats parties aux différentes conventions et, plus largement, contribuent à discréditer des décisions qui souffrent régulièrement d’un défaut d’effectivité. Nombreuses sont en effet les critiques émanant d’Etats qui considèrent, souvent à juste titre, que les interprétations divergentes ne peuvent être tolérées et remettent en question la légitimité du travail des organes de protection des droits de l’homme. Il est ainsi de la responsabilité de chaque organe de traité de travailler afin d’éviter des interprétations déconnectées et qui, sous couvert d’évolutions nécessaires, occultent des décisions antérieures d’organes régionaux et agissent même contre ces dernières.

A travers ces rencontres, c’est un objectif de renforcement de l’effectivité qui est recherché et ce par une définition de lignes qui, si elles ne peuvent être totalement communes, n’en demeurent pas moins cohérentes et conciliables. Ceci est vérifié sur des sujets communs qui doivent être réfléchis en totale cohérence comme des problématiques plus spécifiques, propres à chaque organe, qui permettent aux organes régionaux de trouver, dans le travail du Comité contre la torture, un relai nécessaire pour renforcer la mise en œuvre de leurs décisions.

Une coordination dans l’interprétation

Relativement aux premiers, des discussions de fond ont pu avoir lieu sur la définition des notions communes fondamentales comme la torture, les traitements inhumains et dégradants, permettant au Comité d’élargir certaines interprétations en prenant appui sur les solutions développées au niveau régional. Dans le même esprit, des travaux ont été menés sur des questions juridiques particulièrement complexes auxquels sont confrontés les organes de protection des droits de l’Homme afin de trouver une orientation coordonnée au niveau tant universel que régional. A ce titre, des solutions convergentes ont ainsi pu être définies en ce qui concerne l’extraterritorialité des traités de protection des droits de l’homme, les questions d’immunité de juridiction, la compétence ratione temporis ou la coordination avec les règles et obligations émanant des organisations régionales. Cette circulation des réflexions et des interprétations a ainsi permis, très rapidement de développer des références croisées dans les constatations et arrêts rendus et, plus largement, a permis une diffusion réciproque des positions retenues au régional et à l’universel.

Concernant les seconds qui portent sur des sujets spécifiques à certains systèmes, les discussions menées ont permis d’élaborer une solution construite sur la base d’une interprétation décloisonnée et développée de manière concertée. Il en a ainsi été relativement à la notion de compétence civile universelle qui, inscrite dans la Convention contre la torture, n’est pas présente dans les autres conventions de protection des droits de l’Homme. Sur ce sujet particulier et technique, la jurisprudence européenne a ainsi pu prendre explicitement appui sur la pratique du Comité contre la torture afin de trancher une affaire particulièrement sensible. Dans le même sens, l’appréciation de la situation spécifique à certains Etats a pu donner lieu à des discussions afin de permettre, via le contrôle sur rapport réalisé par le Comité, un suivi dans l’exécution des arrêts rendus par les juridictions régionales. Ce travail de monitoring dérivé participe ainsi à la pleine et entière réalisation des obligations souscrites par les Etats et participe à la fois au renforcement des traités onusiens et des conventions régionales lesquelles sont ainsi mobilisées lors de l’examen de nombreux rapports périodiques.

Confrontés à plusieurs requêtes ayant un objet similaire, les organes présents à l’occasion de ces réunions ont notamment pu réfléchir sur les règles et principes applicables au crime du passé. Ces violations des droits antérieures à la ratification des traités mais qui restent malheureusement impunis. Les victimes, dont certaines sont encore en vie, n’ont jamais obtenu réparation. Leur recours est leur dernier espoir mais se heurte à des difficultés juridiques relatives à la compétence des organes. Les discussions ont ainsi porté sur la recherche d’une solution commune permettant de déterminer la compétence des juridictions régionales et du Comité contre la torture.

Un renforcement réciproque de l’efficacité des systèmes de protection des droits de l’Homme

De l’avis unanime des organes présents à l’occasion de ces réunions, ces derniers sont devenus essentielles et contribuent indubitablement au renforcement des mécanismes de contrôle sur différents plans. Bien entendu, la coordination évite des solutions divergentes désastreuses pour la crédibilité des systèmes conventionnels mais, au-delà, elle permet en particulier de rapprocher les greffes et secrétariats afin de pouvoir réfléchir sur les bonnes pratiques afin de renforcer leurs capacités. Sur ce dernier point, il est ainsi indéniable que l’établissement de liens constants et permanents entre les institutions offre un avantage indéniable qui se manifeste par des échanges d’informations réguliers et par des échanges informels nécessaires afin d’assurer une coordination optimale entre les différents mécanismes de recours individuels. C’est ainsi, au-delà de la rencontre entre juges et experts, une réunion qui a réussi à mettre en place une relation directe entre le secrétariat du Haut-Commissariat aux droits de l’Homme et les organes régionaux.

Plus largement, cette rencontre annuelle démontre que la protection et l’évolution des droits et des libertés reposent avant tout sur le travail des juges et des experts qui, loin d’une approche dogmatique ou/et politique, sont parviennent à travailler pour un renforcement de l’effectivité des obligations imposées par les traités et de leur acceptabilité par les Etats parties. Cette réunion est en ce sens essentielle et fondamentale dans un contexte de transformation tant de l’objet même des droits de l’Homme que des mécanismes qui en assurent la protection au niveau international.

Information de contact : cat@ohchr.org

* Sébastien Touzé est membre du Comité contre la Torture, professeur à l’Université Panthéon-Assas, et directeur de la Fondation René Cassin.
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