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Qu’est-ce que le multilinguisme ?
L’histoire de l’ONU est indissociable de celle des langues qui servent de véhicule à son travail. Racontons cette histoire
1 Sep 2022

Le multilinguisme est une valeur fondamentale de l’ONU : l’Assemblée générale l’a affirmé à maintes reprises. Dans le langage courant, le multilinguisme désigne un simple état de fait, à savoir qu’un individu ou un groupe utilise concurremment plusieurs langues. La communauté internationale, à laquelle nous appartenons, a érigé cela en principe essentiel.

Nous considérons que le multilinguisme concourt à la réalisation des ambitieux objectifs des Nations Unies que sont le maintien de la paix et de la sécurité internationales et la résolution de divers problèmes d’ordre économique, social, intellectuel et humanitaire. On entend couramment dire que « parler des langues différentes » est synonyme d’incompréhension mutuelle. Nous partons au contraire du principe que la coopération est facilitée et les débats enrichis quand les intervenants ont le droit de choisir un moyen de communication qui leur convient.

Le choix des langues

L’histoire du multilinguisme dans les organisations internationales commence avec la création de la Société des Nations. L’instauration de deux sections de traduction et d’interprétation, anglaise et française, met fin à plusieurs siècles d’hégémonie du français en tant que langue internationale de la diplomatie. La nouvelle organisation suit l’exemple du Traité de Versailles, rédigé dans les deux langues à la demande de Woodrow Wilson, Président des Etats-Unis, pays que la Première Guerre mondiale a hissé au rang de superpuissance.

Dès le premier jour, l’ONU adopte une politique linguistique plus ambitieuse. La détermination des différentes langues qui serviront de véhicule pour le travail de la nouvelle organisation est le sujet de l’une des toutes premières résolutions adoptées à la première session de l’Assemblée générale, tenue en 1946. On fixe alors le nombre des langues officielles à cinq (le chinois, le français, l’anglais, le russe et l’espagnol). Ce n’est qu’en 1973 que l’arabe devient la sixième langue officielle de l’ONU.

Comme dans le cas des autres sujets de négociations internationales, le choix des langues officielles est hautement politisé, et il résulte d’un mélange de compromis et de pragmatisme. Nous avons vu plus haut le lien entre la montée politique des États et l’arrivée de nouvelles langues sur la scène internationale. Parmi les langues officielles initiales, le français et l’anglais sont hérités de la Société des Nations ; les nouveaux arrivants, le russe et le chinois, sont les langues de vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale. Seul l’espagnol, avec son nombre de locuteurs important et son statut de langue nationale d’un grand nombre d’États Membres fondateurs, a été choisi selon une logique autre que celle du poids politique.

On estime à 6 000 le nombre de langues utilisées dans le monde. Il est donc clairement beaucoup plus pratique d’organiser la traduction et l’interprétation entre un nombre réduit de langues qu’entre des milliers. Néanmoins, le chiffre six n’est pas gravé dans le marbre et il est régulièrement proposé d’introduire une septième langue, telle que le portugais, le hindi ou le swahili.

La première résolution sur les langues (1946) introduit également une distinction entre « langue officielle » et « langue de travail ». Cela signifie que les représentants des États Membres auront le droit de parler ou d’écrire dans n’importe quelle langue officielle sans fournir de traduction ou d’interprétation et que les documents « importants » seront traduits dans les autres langues officielles. Les langues de travail, qui varient selon l’organe, sont utilisées plus largement. Ainsi, au fil des années, chaque langue officielle est devenue à son tour langue de travail de l’Assemblée générale. Cependant, les deux langues de travail du Secrétariat, l’anglais et le français, n’ont jamais changé depuis 1946.

A l’ONU, la grande majorité des documents sont traduits dans les 6 langues officielles.

Certaines langues sont plus égales que d’autres

Toutes les langues officielles, ainsi que tous les documents publiés dans ces langues, ont le même statut juridique. Pourtant, l’une d’entre elles est beaucoup plus utilisée que toutes les autres. La majorité des documents originaux sont en effet rédigés en anglais, langue qui est le plus souvent parlée par les intervenants dans les réunions officielles et presque toujours quand les interprètes terminent leur service et lorsque les négociations informelles commencent. Au fil des ans, l’emploi du français au sein du Secrétariat a donc décliné.

Bien sûr, ce phénomène n’est pas propre à l’ONU. L’anglais, qui est devenu la langue véhiculaire du monde entier, est la première langue « hypercentrale » de l’histoire. C’est pourquoi, afin d’empêcher tout glissement vers le monolinguisme, il est important de défendre activement le multilinguisme. L’Assemblée générale invite régulièrement l’Organisation à réduire l’écart observé entre l’usage de l’anglais et celui des cinq autres langues dans ses communications.

Cependant, des gestes symboliques ne suffiront jamais à assurer le multilinguisme. On ne peut par exemple qualifier de « multilingue » un site Web sur lequel un menu déroulant permet théoriquement de choisir entre plusieurs langues mais ne change en réalité que l’en-tête de la rubrique, laissant l’essentiel du contenu en anglais. L’Organisation a adopté des normes et des directives pour empêcher de telles situations. Elle insiste notamment sur le fait que le multilinguisme doit être pris en compte dès la conception des projets. Des efforts continuent d’être faits pour faire respecter ces règles.

Un multilinguisme assuré par un personnel polyglotte

L’Organisation a peu d’influence sur les langues parlées au quotidien par les citoyens du monde. En revanche, elle peut créer un environnement favorisant l’usage de plusieurs langues. Cela passe obligatoirement par le multilinguisme de son personnel. Il y a deux voies possibles pour augmenter les capacités linguistiques des fonctionnaires internationaux : soit le personnel existant apprend de nouvelles langues, soit l’Organisation recrute des personnes qui ont déjà les compétences requises.

Le personnel a accès à des cours de langue gratuits et de haute qualité. Malheureusement, les incitations financières qui étaient autrefois octroyées aux fonctionnaires du Secrétariat qui faisaient l’effort de maîtriser une nouvelle langue ont disparu depuis plusieurs années. Par ailleurs, de moins en moins d’avis de vacances de poste exigent la connaissance d’une langue autre que l’anglais. Cela vaut également pour le français, malgré la politique officielle de parité entre les deux langues de travail, même dans un lieu d’affectation francophone comme Genève.

Les spécialistes linguistiques

Cependant, l’Organisation dispose d’un atout précieux pour assurer le multilinguisme : le personnel de ses services linguistiques. Plusieurs centaines de linguistes, interprètes et traducteurs recrutés par des concours rigoureux, se consacrent au traitement égal des langues officielles. C’est grâce à ces spécialistes qu’il est possible d’écouter un discours où de lire un document dans une langue autre que celle d’origine.

Les éditeurs s’assurent que la version originale d’un document se conforme aux exigences de l’Organisation mais aussi, en corrigeant des erreurs et ambiguïtés, permettent d’éviter des interprétations divergentes lors de la traduction. Les assistants d’édition et de publication assistée par ordinateur, qui corrigent les épreuves et apportent les corrections finales aux textes, constituent la dernière ligne de défense pour maintenir la qualité de la documentation multilingue.

Parmi les autres métiers linguistiques, les rédacteurs de procès-verbaux de séances font en sorte qu’il reste une trace écrite des discours prononcés lors des réunions officielles, en transcrivant chaque intervention et en assurant sa traduction vers les autres langues officielles. D’autres types de réunions sont consignées dans des comptes-rendus dits « analytiques », qui résument les débats et permettent de comprendre comment les décisions ont été prises.

La pierre angulaire du multilatéralisme

Le multilinguisme rend possible le multilatéralisme, qui est la raison d’être de l’ONU. Pour que l’Organisation soit en mesure de relever les défis de l’avenir, elle devra tout faire pour le promouvoir réellement, et non seulement avec des mots.

* Laura Johnson est traductrice à la Section anglaise de traduction à l’Office des Nations Unies à Genève (ONUG). Olivier Meyer est réviseur à l’ONUG et membre du Comité de rédaction de UN Today.
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