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Martin Nydegger, Directeur de Suisse Tourisme

Quand la pandémie incite le tourisme suisse à se réinventer
Martin Nydegger, directeur de Suisse Tourisme, ambitionne de faire de son pays l’une des destinations les plus durables du monde
1 Jul 2021

La pandémie a un impact désastreux sur le secteur touristique, est-ce l’occasion de repenser les modèles existants ?

«Never let a good crisis go to waste» a dit Churchill. De nouvelles tendances se dessinent et nous devons être prêts à y répondre. Dans le domaine du tourisme de loisirs, les voyageurs/euses ont pris de nouvelles habitudes, comme réserver, modifier ou annuler leurs séjours à très brève échéance, cela suppose une très grande flexibilité de la part des prestataires.

La pandémie ayant exacerbé le besoin de s’isoler durant les vacances et de se rapprocher de la nature, l’intérêt suscité par des hébergements originaux va perdurer. Lancée l’an dernier, l’initiative l’Hôtel mille étoiles, qui propose des hébergements insolites avec vue imprenable sur le ciel étoilé, est un grand succès.

Par ailleurs, le fait que les voyages vont être plus complexes – même pour les personnes vaccinées – va influer sur leur durée. Les touristes vont opter pour des séjours plus longs afin de s’immerger dans la découverte d’une destination. Ces nouvelles tendances sont des opportunités pour le tourisme suisse.

Certains cantons, comme Genève ou Zurich, avaient fortement misé sur un tourisme d’affaires, comment compenser la quasi-généralisation du télétravail ?

En Suisse ou ailleurs, les villes sont de grands centres du tourisme d’affaires en raison de la présence de grandes entreprises ou organisations, la disponibilité d’infrastructures de congrès et la proximité des aéroports. Durement frappée par la crise sanitaire, cette forme de tourisme va peu à peu regagner de l’importance, car les réunions virtuelles ne permettent pas le type d’échanges qu’offrent les rencontres en face à face.

Le télétravail va perdurer mais pas de manière exclusive. De nouveaux modèles émergent. Les infrastructures de congrès se transforment pour héberger des manifestations plus petites, accueillir des événements hybrides et proposer de nouvelles options technologiques.

Le télétravail intensif a créé le besoin de se retrouver en équipe dans un cadre propice aux échanges directs et à la créativité. C’est une opportunité pour les hôtels qui vont pouvoir davantage accueillir des visiteurs souhaitant combiner travail et loisirs. C’est pourquoi, l’automne dernier nous avons lancé une offre nationale « Bed&Bureau», en collaboration avec des hôtels urbains. Les villes vont devoir miser plus sur le tourisme de loisirs. Elles ont de nombreux atouts : la nature, une vie culturelle riche et dynamique et elles sont à « taille humaine ».

Vous venez de lancer le label Swisstainable, en quoi pourrait-il redynamiser le secteur touristique ?

Swisstainable va bien au-delà d’un simple label, c’est un mouvement destiné à inciter tous les prestataires et les destinations suisses à s’engager toujours plus sur la voie d’un tourisme durable, tout en montrant aux hôtes ce qui est mis en place en termes de durabilité. C’est un moteur d’innovation qui permet de partager des connaissances, créer une émulation entre les prestataires et conseiller nos hôtes sur les moyens de voyager de manière plus responsable.

Régulièrement en tête des classements internationaux, notre pays fait beaucoup en matière de durabilité. Avec Swisstainable, nous avons l’ambition de réussir à faire de la Suisse la destination de voyage la plus durable du monde. D’ici fin 2023, nous espérons avoir 4’000 prestataires labellisés qui s’engagent à prendre des mesures spécifiques en matière de durabilité. Notre rôle est d’accompagner les modifications sociétales et d’aider les prestataires à répondre aux nouveaux besoins des hôtes.

Le tourisme de proximité a-t-il le potentiel de pallier la désertion des touristes internationaux ?

Non, globalement, les habitant(e)s de la Suisse voyageant dans leur pays ne pallient pas l’absence de touristes internationaux. Du fait de l’absence des hôtes étrangers, 2020 s’est terminée sur un bilan négatif pour l’hôtellerie suisse : 40% de nuitées en moins par rapport à 2019. Les nuitées des touristes résidant en Suisse ont aussi reculé (-8,6%). Mais la situation est très différenciée selon les destinations et leur degré de dépendance aux touristes étrangers.

L’été/automne 2020, les nuitées des résident(e)s suisses ont augmenté dans les régions de montagne. Cela n’a toutefois pas suffi à compenser le manque de touristes étrangers. Nous avons malgré tout enregistré des résultats réjouissants pour les touristes français, avec une augmentation de leurs nuitées de 9% en août 2020.

Comparée à d’autres destinations, la Suisse reste chère. La profession est-elle en mesure de fortement réduire ses marges afin d’attirer une nouvelle clientèle ?

Dans le contexte de la pandémie et de son impact dramatique sur le tourisme, il est impossible de réduire plus des marges déjà très minces. Ce n’est d’ailleurs pas souhaitable. La Suisse se vend avant tout grâce à la qualité de ses prestations et de ses infrastructures et non sur le seul facteur de prix avantageux. La situation est totalement différente de celle de la crise de 2015 (abandon du taux plancher de l’Euro par la BNS) qui avait entraîné un désavantage en termes de prix. Le problème actuel, c’est l’absence de la demande, pas les prix.

C’est la valeur ajoutée proposée aux touristes dans le cadre des offres qui est déterminante. Ainsi, ces deux derniers hivers, lors d’un voyage en train, les bagages de résidents(e)s suisses pouvaient être transportés gratuitement du domicile au lieu de vacances (et vice-versa) dans plus de 1’200 hébergements partout en Suisse. Cette offre « spécial bagages » a été instaurée en collaboration avec les CFF. Cet exemple prend en compte un aspect de plus en plus important pour nos hôtes : la manière dont les prestataires facilitent les séjours, de la décision de voyage à l’expérience sur place. C’est pour le développement de telles offres à l’échelle nationale que Suisse Tourisme s’engage : créer de la valeur ajoutée pour les hôtes tout en donnant des avantages compétitifs aux prestataires suisses.

* Muriel Scibilia-Fabre est auteure et ancienne fonctionnaire de la Conférence des Nations Unies sur le Commerce et le Développement (CNUCED).
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