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Plus l’offre scientifique augmente, plus le champ des possibles s’élargit © Freepik

On a glissé des droits de l’enfant au droit à l’enfant à tout prix
René Frydman préconise de mener une réflexion bioéthique au plan mondial afin de parer aux dérives d’une médecine de la reproduction en plein essor
1 Apr 2024

Congélation des ovules, greffe d’utérus, clonage, gestation pour autrui, insémination post mortem, la médecine de la reproduction semble ne plus connaître de limites. Dans son livre La Tyrannie de la reproduction, René Frydman, pionnier de la Fécondation In Vitro (FIV), invite à se demander s’il est sage de laisser faire tout ce qui devient réalisable.

Qu’avons-nous à gagner à poursuivre des recherches sur les technologies concernant les mécanismes de la reproduction?

Il s’agit de répondre aux souffrances des personnes en mal d’enfant, de mieux comprendre les causes d’une infertilité croissante, y compris le rôle de l’endométriose, du tabagisme ou des pollutions, et de permettre aux filles nées sans utérus d’avoir des enfants. Mais ce ne doit pas être une course sans fin ni balises.

Comment est-on passé du désir d’enfant à la revendication de facto d’un droit à l’enfant?

Plus l’offre scientifique augmente, plus le champ des possibles s’élargit, plus se diffuse le dogme du « tout est possible ». Le désir devient roi. L’injonction à avoir des enfants est aussi induite par les pressions insidieuses de certains médias, groupes financiers ou laboratoires qui ont intérêt à promouvoir leurs activités commerciales. Il importe d’encadrer voire de légiférer. Par exemple, le slogan des féministes « un enfant quand je veux » trouve un nouvel écho du fait de l’évolution de nos sociétés. Tant pour des raisons personnelles que professionnelles, le temps de la grossesse est repoussé. Or, si l’utérus est un organe qui vieillit peu, tel n’est pas le cas des ovules. Aussi, les grossesses tardives nécessitent de recourir au don d’un ovule issu d’une femme plus jeune – ce que taisent les tabloïds qui affichent la grossesse de stars autour de la cinquantaine. En France, la loi de bioéthique promulguée en août 2021 permet aux femmes de congeler leurs ovules sans raison médicale. Elles sont de plus en plus nombreuses à y recourir pour limiter les altérations dues à l’horloge biologique. Cette loi instaure toutefois des limites : pas de prélèvement d’ovules après 43 ans, pas de transfert au-delà de 45 ans. 

Que peut faire le médecin?

Confronté à la puissance du désir individuel, il lui revient d’évaluer les chances de concevoir un enfant et de proposer les techniques disponibles sans passer par l’exploitation du corps d’autrui. Il doit aussi aider ses patientes à ne pas culpabiliser, s’ils doivent mettre un terme à ce qui relève d’une course poursuite. Trop de couples s’épuisent durant ce parcours. Il faut les aider à se soustraire à une « obligation » alimentée par une survalorisation de la maternité et la mise en lumière d’expériences exceptionnelles. Il n’y a pas de honte à ne pas pouvoir faire naître un enfant.

La Tyrannie de la reproduction par René Frydman, pionnier de la Fécondation In Vitro (FIV)

Quelles sont les limites à ne pas franchir?

Tout ce qui donne lieu à l’asservissement d’autrui. Quelle que soit la puissance d’un désir d’enfant, on ne peut pas faire n’importe quoi, qu’il s’agisse de l’utilisation du corps d’une autre à ses propres fins, comme dans la Gestation Pour Autrui (GPA), ou de la manipulation génétique pour donner à l’enfant des caractéristiques jugées plus adéquates. Le clonage à des fins de reproduction est aussi un danger. A ce jour, la plupart des pays l’interdisent. En 2002, j’avais fait partie de la délégation française à l’Assemblée générale de l’ONU qui avait déposé, avec l’Allemagne, un projet de résolution prônant l’interdiction du clonage reproductif. Elle n’avait pas abouti. Par la suite, une déclaration de principes, bannissant « toutes formes de clonage humain, incompatible avec la dignité et la protection de la vie humaine », a été adoptée. Il faut aller plus loin et mener une réflexion bioéthique dans un cadre mondial. De même qu’on a interdit le travail des enfants, on devrait interdire toute exploitation du corps d’autrui à des fins personnelles. Même si les résolutions de l’ONU ne sont pas contraignantes, elles peuvent avoir une valeur exemplaire en portant haut l’exigence du respect de la dignité humaine.

Qu’en est-il de la Gestation Pour Autrui?

Elle ne peut pas être éthique. Dès qu’un embryon conçu par FIV est transféré dans l’utérus d’une personne qui s’engage par contrat financier à remettre un nouveau-né au couple commanditaire, on est dans la commercialisation des corps, dans un marché de la reproduction. 

C’est d’ailleurs devenu une véritable industrie dont les bénéficiaires sont moins les « mères porteuses » que les intermédiaires : recruteurs, avocats, médecins, cliniques, etc. Personne ne se soucie des conséquences physiques et psychologiques subies par ces femmes qui, souvent, se sont lancées dans la GPA dans l’espoir de sortir de la misère : 20% des accouchements se font par césarienne, 15% avec épisiotomie, 20% de baby blues. Pour être éthique, une GPA devrait au moins permettre de ne pas les effacer de l’histoire familiale. Or, sauf exception, les couples-commanditaires coupent tout lien avec la mère porteuse. À l’heure du mouvement MeToo, où des patientes portent plainte pour des comportements inadéquats lors d’examens gynécologiques, ce que subissent les mères porteuses est d’une violence encore plus grave.

Quelles conséquences sur le développement et le psychisme des enfants nés par GPA?

Malgré 20 ans de recul, on n’a pas réussi à mener des enquêtes scientifiques correctes, du fait notamment de l’omerta induite par la commercialisation de la GPA. Ce que l’on sait désormais sur les mécanismes des échanges entre mère et enfant in utero invite à la prudence. Le développement du cerveau du bébé dépend en partie de la femme qui le porte, et on trouve des cellules fœtales dans le sang maternel des années après la naissance. Ce lien n’est pas anodin. Et on mesure mieux l’influence du milieu sur les gènes. On ne peut donc pas faire n’importe quoi.

Après avoir déclenché un tollé, la FIV est entrée dans les mœurs. En sera-t-il de même pour d’autres prouesses technologiques?

La FIV a été une transgression. C’était la 1ère fois qu’on dissociait la sexualité et la reproduction. La possibilité de voir au microscope ce qui était invisible a permis de toucher à ce qui était intouchable. D’où les réactions, y compris de prudence, et la création de comités d’éthique dans plusieurs pays. Dans une FIV, initialement, il s’agissait de favoriser une rencontre entre entités biologiques faites pour s’unir. Il n’y avait pas de manipulation au sens d’atteinte aux droits. Aujourd’hui un interventionnisme au niveau des gamètes ou de l’embryon est possible pour le meilleur ou pour le pire! À chaque avancée technologique il faut se demander si sa mise en œuvre risque d’être délétère pour l’enfant ou l’un des membres de la famille, sans oublier que le concept de famille ne cesse d’évoluer.

Un utérus artificiel, science-fiction ou réalité?

Pour le moment, on s’en tient à l’expérimentation animale mais l’autorisation d’expérimenter ce mode de gestation (l’ectogestation) chez l’humain est pour bientôt. On parle de prématurité au terme de 35 semaines de gestation, mais on peut prendre en charge un nouveau-né dès 22-24 semaines en le mettant en couveuse. À moins de 22 semaines, la survie est impossible. En cas de naissance avant le seuil de survie, certains proposent de placer le nouveau-né dans un biobag (un récipient rempli d’eau stérile) relié à une machine dotée d’un circuit extracorporel permettant d’apporter le sang, l’oxygène et les nutriments tout en éliminant les déchets organiques. En revanche, le développement in vitro d’un embryon d’un dixième de millimètre jusqu’à sa naissance (ectogenèse totale) n’est pas pour demain.

Certains disent qu’un utérus artificiel instaurerait une égalité hommes-femmes. Il ne s’agirait plus d’une avancée technique mais d’un profond bouleversement au plan humain! Cela mettrait un terme à la relation entre la mère et l’enfant telle que nous la connaissons. Certains y voient un moyen de libérer les femmes des « contraintes » de la grossesse, d’autres de mieux contrôler le développement de l’enfant. Ne serait-on pas dès lors tentés de sélectionner les embryons de sorte qu’ils ne présentent aucune anomalie ou telle « qualité » ? Que penser de l’éventualité d’une production quasi industrielle de spermatozoïdes à partir de cellules souches? La liste des questions est infinie, mais qu’en est-il de la sagesse? N’est-il pas temps de mettre l’éthique au cœur de nos vies? 

* Muriel Scibilia est auteure et ancienne fonctionnaire de la Conférence des Nations Unies sur le Commerce et le Développement (CNUCED).
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