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Multilinguisme à l’ONU : une urgence !
Pour sortir des crises et atteindre les Objectifs de Développement Durable, les institutions onusiennes doivent parler aux citoyens dans leur langue
1 Sep 2022

Le multilinguisme au sein du système ONU n’est ni un luxe ni facultative, mais une exigence incontournable pour relever les principaux défis de notre temps. Osons le dire : les partisans d’une langue unique de communication se trompent – à plus d’un titre !

Ce n’est pas par hasard si, contrairement à une idée répandue, en Amérique Latine (qui compte 70% d’habitants de plus que les Etats-Unis et le Canada réunis) le nombre de publications scientifiques en espagnol ou en portugais dépasse de loin celles en anglais : un génie en sciences peut ne pas maîtriser comme il se doit les subtilités nécessaires en anglais pour exprimer une pensée en nuances. Dans tous les domaines, la langue unique défavorise nombre de spécialistes au détriment de la société. Dans les institutions internationales, dont l’ONU, qui traitent de sujets délicats, la précision des uns contraste avec le globish de trop d’autres.

Bien qu’utile, l’anglais est loin d’être un passeport universel. Il n’est la langue maternelle que de 7% des humains (derrière l’espagnol et très loin derrière le mandarin), n’est plus ou moins bien compris que par 1/4 de la population et totalement inconnu de 7 personnes sur 10. Un sondage a montré que si l’anglais était langue officielle de l’Union Européenne, 4 citoyens sur 5 auraient du mal à en comprendre les documents politiques et juridiques et 45% seraient incapables d’y accéder, ce qui les priverait de fait de leurs droits politiques. Et l’exclusion par les langues est 3 fois plus forte chez qui n’a fait que des études secondaires que chez qui est allé à l’université. La langue unique est pour la majorité une forme de violence.

Le multilinguisme n’est pas une dépense à inscrire au passif d’un bilan comptable mais un investissement sine qua non pour bâtir un monde vivable. La guerre, le mal-développement, les logiques de concurrence dans un monde devenu à bien des égards interdépendant, l’épuisement de ressources vitales, les atteintes à l’environnement et aux identités multiples de chacun ravagent le monde 77 ans après la création de l’ONU alors que nous avons enfin les connaissances, moyens et institutions pour réussir. Il est urgent de mieux connaître les autres peuples, décoder notre époque et nous unir pour changer de trajectoire et offrir aux 2 milliards d’enfants de moins de 14 ans sous notre tutelle non un cauchemar programmé quand ils seront adultes, mais un avenir de paix, de prospérité partagée, de santé renforcée et d’épanouissement. Il est urgent de faire croître la conscience du devoir de prendre soin les uns des autres dans le respect des diversités et du principe de subsidiarité.

Jean Fabre.

L’ONU est née dans un monde de 2,4 milliards d’habitants qui s’est depuis, davantage transformé qu’en 1000 ans, compte 8 milliards d’individus et fait face à des défis sans précédent qui requièrent de faire équipe loin de toute logique de concurrence. La communication et la réflexion commune à l’échelle mondiale sont dorénavant cruciales. Avec l’anthropocène nous sommes entrés dans l’ère de la double responsabilité individuelle et collective. La plupart des solutions ne peuvent plus venir « d’en haut » : nos leaders doivent se comporter non en « sachants » mais en sages-femmes car dans le monde de 10 milliards d’êtres de la 2ème moitié du 21ème Siècle, un demi-milliard de personnes insouciantes ou égarées peuvent réduire à néant les comportements vertueux de 9,5 milliards d’autres. Il faut donc diffuser le plus largement toutes nos informations, faire connaître les messages des conférences organisées par le système onusien, la pertinence de l’Agenda 2030, et pour cela communiquer dans un maximum de langues et échanger entre citoyens de tous niveaux et statuts.

Or, on ne mesure pas assez à quel point lire une autre langue que la sienne peut rebuter. Communiquer en anglais ne suffit pas. Quand je dirigeais la communication du PNUD en Europe, j’ai mis un point d’honneur à traduire nos documents dans plusieurs langues non officielles de l’ONU et mesuré combien cela a accru notre couverture médiatique et notre interaction avec la société civile.

Les services d’interprétation et de traduction peuvent sembler onéreux dans le budget d’une institution mais ce coût est infime au regard des dépenses en armements et en atténuation ou réparation de maux évitables si l’on communiquait mieux avec tous les terriens.

La paix, la justice, l’équité, la durabilité écologique n’ont pas de prix. Elles passent notamment par la préservation active des cultures, antidote aux craintes de perte d’identité qu’attisent la mondialisation et les mutations rapides de nos sociétés. Or, les langues structurent la pensée et sont à la fois l’expression des cultures et leur principal mode de transmission.

La pratique du multilinguisme est une porte d’accès aux autres cultures qui valorise la diversité des identités, là où les échanges basés sur une langue unique ne cultivent pas la pensée plurielle. Il ne faut pas adapter le monde à nos paresses, mais nous adapter aux réalités de terrain pour faciliter la compréhension des enjeux de notre époque et préserver la richesse des cultures, patrimoine de l’humanité précieux entre tous car source de mémoire et de tolérance.

* Jean Fabre est ancien directeur adjoint du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD).
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