CULTURE

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Les rues de Genève se féminisent
Découvrez des femmes anonymes ou méconnues qui ont contribué à l’histoire de Genève
2 Mar 2022

Un regard féminin sur Genève

L’espace public de la ville est dominé par des bustes et des plaques en hommage à des personnalités. Mais voilà qu’en 2019, un constat dérangeant est établi par l’association féministe l’Escouade : seulement 7 % des personnes ayant donné leur nom à une rue sont des femmes ! Pourtant, le critère guidant le choix des noms attribués aux rues est qu’il doit s’agir de personnalités ayant marqué l’histoire de Genève de manière pérenne. Seuls les hommes auraient donc contribué au destin de la ville ? Afin de remettre les pendules à l’heure, le projet 100Elles est né en renommant temporairement 100 rues et places d’après des femmes – et depuis août 2020, dix ont été pérennisées par le Canton de Genève. Suivez la guide au coeur de la cité pour porter un regard féminin sur la ville et découvrez des femmes qui ont joué un rôle essentiel dans le fonctionnement de la société et ont contribué à l’essor de Genève.

Les bords du Rhône – La lessive : corvée de femmes

Jusqu’à l’arrivée des appareils ménagers au début du 20ème siècle, la lessive est considérée comme la tâche ménagère la plus lourde et la plus pénible, surtout la grande lessive qui pouvait durer une semaine. Les femmes lavent le linge du foyer ou le confient à des professionnelles appelées blanchisseuses ou lavandières, qui travaillent du matin au soir pour un maigre salaire. Dès 1691, cette tâche doit être effectuée au bord des cours d’eau ou sur des bateaux-lavoirs amarrés aux quais.

Mais voilà que le 1er août 1913, un bateau-lavoir du quai du Seujet coule subitement avec cinq femmes en train de laver du linge. Deux blanchisseuses de 21 et 73 ans et une ménagère de 28 ans se noient. Trois personnes sont inculpées, dont le propriétaire et le gérant. Mais alors que l’affaire est proprement enterrée par la justice elle devient un enjeu politique qui amène à la construction d’un lavoir municipal aux Pâquis. Et l’ancienne rue de la Pisciculture qui descend au quai du Seujet a été renommée rue des Trois-Blanchisseuses, face à la Promenade des Lavandières sur l’Île.

Pont de la Machine – Les nouveaux secteurs économiques s’ouvrent aux femmes

La plaque rose à l’extrémité du pont de la Machine, sur la rive gauche, est dédiée aux ouvrières. Elle ne fait pas partie des changements de noms officiellement approuvés mais nous rappelle que pendant longtemps, la contribution économique des femmes travaillant dans les boutiques, sur les marchés, sur les bateaux-lavoirs ou encore dans leurs foyers a longtemps été sous-estimée voire ignorée. Il faut attendre l’arrivée de nouvelles industries après la Réforme en 1536 pour que les femmes commencent à travailler dans les nouvelles manufactures d’indiennes (impression de coton), dont la plus grande se situe au quai des Bergues (en face), et à investir l’ensemble des professions liées à l’horlogerie et à la bijouterie.

Les Genevoises se spécialisent dans la fabrication de chaînettes et d’aiguilles, dans la pose de dorure et dans le réglage des montres. Au 19ème siècle elles occupent environ un tiers des emplois dans ce secteur qui continue à faire la réputation et la prospérité de Genève aujourd’hui.

Ancienne plaque “Place Elisabeth Balaucre – Place de la Fusterie”

Place de la Fusterie – Une femme d’affaire d’exception

S’il y a un personnage à considérer comme l’un des plus important capitaliste de Genève au 17ème siècle – et donc un de ses plus gros contribuable – c’est bien Elisabeth Baulacre. Il faut rendre hommage à ses qualités exceptionnelles de gestion et d’innovation ainsi qu’à sa très bonne connaissance des marchés internationaux et de la politique commerciale. Mais qui est Elisabeth ?

Née d’une famille protestante spécialisée dans l’industrie et la vente de la soie, elle hérite au décès de son mari d’un modeste fond de commerce d’articles de mercerie. Elisabeth va réorienter l’entreprise vers la fabrication de produits de luxe alors en pleine expansion à travers l’Europe – la dorure ou la production de fils d’or et d’argent pour décorer les étoffes – et emploie bientôt des centaines d’ouvriers(ères). Grâce à ses investissements dans l’immobilier et le foncier (magasins, entrepôts, logements mais aussi terrains, vignes et forêts), la fortune d’Elisabeth devient considérable. Aujourd’hui, la plaque rose qui était posée sur le temple de la Fusterie s’est transformée en plaque bleue « officielle » de la rue Elisabeth-Baulacre, qui longe l’école des Cropettes.

Et n’oublions pas les héroïnes de Genève

Il est difficile de vivre à Genève sans avoir entendu parler de la Mère Royaume, l’héroïne de la fête de l’Escalade qui commémore chaque 12 décembre la victoire de la République contre le duc de Savoie en 1602. Catherine Royaume – née Cheynel – est entrée dans la légende grâce à son geste héroïque : elle a jeté un pot d’étain sur la tête d’un soldat savoyard depuis sa fenêtre. Le pot, devenu par la suite marmite de soupe bouillonnante, est aujourd’hui un symbole populaire prisé des chocolatiers. Et une fois n’est pas coutume, la mère Royaume a volé la vedette au héros Isaac Mercier, qui réussit à baisser la herse, empêchant ainsi les troupes ennemies de pénétrer dans la cité fortifiée. Il ne faut pas pour autant oublier le rôle des autres femmes de Genève cette nuit-là.

Quelques-unes sont descendues dans la rue pour se battre à l’hallebarde aux côtés des hommes. D’autres ont défendu leur foyer – et par extension la République – en lançant depuis leur fenêtre moult objets. Ce ne sont pas des femmes exceptionnelles mais des ménagères et des mères de familles – des femmes et des filles ordinaires qui rendent hommage aux milliers d’autres inconnues de l’époque. Dans la mémoire populaire cependant Catherine Royaume incarne la mère protectrice, symbole de résistance et patriotisme – et elle mérite bien sa rue, dans le quartier des Pâquis.

* Catherine Hubert Girod, is an independen tour guide in Geneva, has previously worked for various international organizations and NGOs.
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