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La résolution des conflits est plus qu’une profession…c’est une mission
Les petits gestes qui font une grande différence
2 Mar 2022

En sanglots, la tête posée sur mon bureau installé sous une tente en plein désert, un demandeur d’asile me raconte avoir perdu toute sa famille pendant la guerre civile qui a ravagé son pays. Joseph a été tellement traumatisé par les violences qu’il a subies durant la guerre et sur la route de l’exil qu’il me confie avoir voulu mettre fin à ses jours.

Vous pouvez bien vous imaginer que devant une telle détresse, ma formation juridique ne m’était d’aucune utilité! À cet instant précis, pour faire mon travail objectivement et déterminer si oui ou non Joseph devait bénéficier de la protection internationale en tant que réfugié, n’était-il pas plus approprié de faire preuve d’humanisme et d’intelligence émotionnelle, de reconnaître sa souffrance et sa dignité ? Concilier l’humanisme inhérent à notre mandat avec les exigences de mes fonctions était pour moi une évidence.

Cet événement m’a amenée à me demander comment ma façon de m’acquitter de ma mission pouvait m’aider à atteindre les résultats escomptés. Plus tard, je me suis aperçue qu’il y avait un dénominateur commun entre mon expérience juridique antérieure de la détermination du statut de réfugiés et mes fonctions au Bureau de l’ombudsman : pour offrir un service de de qualité, je devais reconnaître la dignité de chacun tout en maintenant mon objectivité et ma rationalité.

Lors de ma première mission humanitaire au service des Nations Unies, je me suis rendue compte que ma motivation principale en intégrant les Nations Unies n’était pas forcément de sauver le monde, mais d’apporter mon aide et mon soutien par petites touches, une personne à la fois, une conversation à la fois. Je crois que chacun et chacune a la faculté de puiser dans sa force intérieure pour surmonter les évènements douloureux de la vie et se reconstruire même quand tout paraît sans issue. Cette capacité m’a toujours fascinée, et j’ai tout naturellement placé la dignité humaine et le pouvoir personnel au centre de mon engagement professionnel et humain en faveur d’un monde plus digne et plus juste.

Notre organisation prône les valeurs d’égalité, de dignité, d’inclusion et de justice. Mais réfléchissons-nous suffisamment à l’application concrète de ces concepts au quotidien ? Comment parler de dignité, alors même qu’au sein-même de notre organisation des collègues font preuve d’incivilité et se comportent d’une façon inacceptable, en contradiction avec la déontologie propre à leur statut de fonctionnaires des Nations Unies? N’est-il pas de notre devoir d’aligner notre comportement individuel sur les nobles idéaux de l’Organisation?

Pour ma part, j’ai toujours traduit ces notions dans mon quotidien à travers des gestes simples, mais importants. J’ai réalisé que chaque fois que je prenais le temps d’accueillir des demandeurs d’asile avec un sourire, un mot bienveillant et un profond respect au lieu de les considérer comme de simples chiffres et quotas, je leur rendais un petit bout de leur dignité perdue. Leur offrir un mouchoir pour sécher leurs larmes ou leur donner quelque chose à manger pour soulager leur faim, leur rappeler combien ils étaient forts, eux qui se tenaient encore debout après toutes les épreuves traversées, telle était ma manière de les connecter avec leur force intérieure alors qu’ils ne croyaient plus en leurs capacités et se sentaient brisés par ce qu’ils avaient vécu. En prenant soin de conduire un entretien dans les meilleures conditions possible, de les traiter d’égal à égal, de reconnaître leurs parcours de vie, leurs joies et leurs souffrances, je leur rappelais à quel point ils comptaient.

La dignité sur le lieu du travail : une des valeurs que promeut le Bureau de l’ombudsman.

Lorsque mes collègues au bureau du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) au Maroc m’ont élue Conseillère pour le respect dans le domaine professionnel, j’ai saisi encore plus l’importance d’être pleinement présente pour les autres, de leur offrir une écoute active dépourvue de tout jugement et de leur donner à voir l’éventail des possibilités qui s’offraient à eux quand ils ne voyaient plus clair.

Ma carrière a alors pris un tournant décisif en évoluant vers la gestion des conflits. J’ai bénéficié de plusieurs formations fascinantes sur différentes thématiques telles que la communication non violente, la gestion informelle des conflits et la médiation, dispensées par le Bureau de l’Ombudsman. J’ai porté une “double casquette”, en continuant à faire mon travail de juriste tout en soutenant ceux de mes collègues qui traversaient des difficultés dans le contexte professionnel. Je me suis employée de toutes mes forces à rendre mon bureau plus harmonieux et à faire profiter mes collègues de mes connaissances et de mon savoir-faire en matière de gestion des conflits. Pendant nos discussions confidentielles, je les écoutais attentivement et leur donnais la possibilité de parler à cœur ouvert de leurs préoccupations. Ensemble, nous trouvions des solutions qui leur redonnaient foi, restauraient leur confiance et les aidaient à poursuivre.

Mon intérêt pour la résolution informelle des conflits ne cessait de croître, et c’est ainsi que j’ai été recrutée au bureau de l’Ombudsman du HCR à Genève. J’y suis restée trois années, qui furent riches en apprentissages, à soutenir des collègues de différentes régions du monde et à travailler sur des questions fondamentales telles que la résolution informelle des conflits en milieu professionnel ou la promotion de l’harmonie dans les bureaux du HCR. Je travaille aujourd’hui au Bureau de l’Ombudsman et des services de médiation des Nations Unies à Genève, où je souhaite mettre mon humble expérience et mes connaissances au service de mes collègue. Revenons maintenant à l’histoire de cet homme qui m’avait si fortement marquée il y a plus de dix ans. Joseph a réussi à obtenir le statut de réfugié, à se reconstruire après un suivi psychologique approfondi, et à retrouver peu à peu goût à la vie. Il est devenu un modèle de résilience et une source d’inspiration pour les jeunes réfugiés. C’est aujourd’hui un artiste accompli, qui a renoué avec sa force intérieure et sa dignité d’être humain.

Bien que le masculin soit utilisé dans le texte, il doit être compris comme faisant référence aux deux genres, sauf indication explicite. Des termes sexospécifiques peuvent être utilisés afin de faciliter la fluidité du texte. Ceci est fait uniquement dans le but de rendre le texte plus facile à lire, et aucune offense ou sexisme n’est prévu.

* Saadia Benmakhlouf est responsable de la résolution des conflits au Bureau de l’Ombudsman et des services de médiation à Genève.
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