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La Joroterapia ou comment guérir de son histoire
Quand la médecine butte sur l’origine d’une maladie, l’histoire du patient peut donner les clefs qui libèrent de ce désordre intérieur
1 Sep 2022

Médecin généraliste installée sur l’île de la Réunion, chercheuse, docteur en anthropologie, formée à l’ethnomédecine et la victimologie, intervenante en milieu pénitentiaire, Alice Ranorojaona Pélerin, passionnée, pétillante, chaleureuse, est à l’origine d’une démarche originale visant à aider les patients qui souffrent sans qu’on sache pourquoi. C’est la Joroterapia ou comment soigner avec la quête de sens.

En quoi consiste la Joroterapia ?

C’est une démarche transdisciplinaire et systémique qui résout des cas pour lesquels la biomédecine est démunie. Comme tant d’autres médecins, je suis parfois impuissante devant la souffrance de patients chez qui les examens, biologiques, radiologiques et chimiques ne détectent rien d’anormal. J’ai fini par réaliser que ce que l’on omet d’interroger, c’est l’aspect symbolique de la maladie en lien avec l’histoire, les représentations et les mythes personnels et collectifs dont nous sommes tous porteurs. Les patients se disent souvent « pourquoi moi ? ».

On peut être malade de son histoire ?

Quand on la porte en pilotage automatique, elle nous amène à reproduire des scénarii délétères. Pour aider mes patients, j’ai dû changer de paradigme. Je suis sortie du contexte purement biologique pour me pencher sur l’histoire personnelle et familiale et la décoder en mettant en relation des évènements traumatisants, des émotions, des souffrance passées et actuelles, et ainsi leur donner un sens.

Que signifie le terme Joroterapia ?

C’est un néologisme malgache formé de trois mots : Joro qui veut dire « se mettre debout »,Tera qui signifie « né de » et Pia qui désigne les douleurs qui suivent l’accouchement. Il suggère qu’on peut se relever suite à un coup dur et renaître.

Cette pratique s’oppose-elle à la médecine classique ?

Pas du tout : elle l’enrichit ! La joroterapia fait levier sur tous les domaines de la vie qui peuvent affecter et être affectés par la maladie : physique, psychique, culturel ou spirituel. C’est un lieu de croisement entre biomédecine, anthropologie, psychogénéalogie et ethnomédecine qui inclut les savoirs traditionnels et populaires, dont des médecines savantes et millénaires comme la médecine chinoise ou Ayurvédique. Elle exclut tout jugement, instaure une relation patient-médecin équilibrée. Pas de hiérarchie mais de la complémentarité dans le respect des différences. Elle décode le désordre au cours d’une prise en charge globale en sollicitant les compétences du patient. Le médecin peut se trouver en situation d’apprentissage vis-à-vis de la culture du patient.

Quelles sont les étapes de cette thérapie ?

D’abord détecter les événements traumatiques vécus et hérités ; puis, nommer les émotions, les accepter, les transformer pour en faire le deuil en posant des actes symboliques. Cela permet d’évacuer les émotions et de réinitialiser le vécu au niveau des trois cerveaux (cortical ou cognitif, limbique ou émotionnel et reptilien ou archaïque) qui n’étaient plus en phase.

Nous utilisons beaucoup le cognitif pour essayer de tout contrôler. Ce faisant, nous refoulons l’émotionnel et en envoyons des messages de détresse inadaptés qui surstimulent les fonctions vitales jusqu’à détraquer l’organisme. Le nouveau vécu qui s’ensuit est déchargé du trop-plein d’émotions. L’histoire devient vivable et transmissible.

L’histoire familiale d’un de mes patients qui avait planifié son suicide était peuplée d’enfants morts. Je l’ai aidé à réaliser qu’il vivait dans le deuil de ses parents, qu’il en portait les émotions. Son projet de suicide ne venait pas de lui mais était induit par quelque chose que l’histoire familiale n’avait pas réglé. Il a interrogé sa mère puis décidé de faire des plaques commémoratives pour ces enfants. Trois ans plus tard, il m’a demandé de l’accompagner au cimetière pour les poser. Il est resté en vie et est plus apaisé. Les choses ne se terminent pas toujours à mon cabinet.

De quels outils disposez-vous ?

Ils sont nombreux et apportent leur contribution dans une transdisciplinarité : élaboration d’un génosociogramme, approche systémique, ethnopsychiatrie, psychanalyse, biomédecine, épigénétique, etc. Je prescris des objets symboliques tels des cailloux, mouchoirs ou bougies. J’utilise aussi des poupées russes pour visualiser la personne à différentes étapes de sa vie. Une personne qui vit sous la coupe des émotions générées par le passé est envahie d’affects dépourvus de sens et vit un véritable chaos. Le recours aux rituels réharmonise son vécu par la voie sensorielle et à travers un langage symbolique. Quand on brûle les papiers sur lesquels le patient a listé ses souffrances, il reste un petit tas de cendres que nous déposons ensemble au pied d’un arbre pour redonner vie. C’est symbolique de l’amour qu’il se doit et qui continue à le relier aux siens. On parle de deuil non fait quand il y a une interpénétration entre le monde des vivants et des morts par le biais d’émotions comme la tristesse, la colère, le sentiment de culpabilité, d’abandon, les regrets… En les exprimant et en s’en débarrassant, on se met en paix avec ses prédécesseurs et répare ses lignées.

* Muriel Scibilia-Fabre est auteure et ancienne fonctionnaire de la Conférence des Nations Unies sur le Commerce et le Développement (CNUCED).
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