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La récolte de textiles menée par Mikhail Rojkov à la HEAD © Mikhail Rojkov

La durabilité genevoise dans de beaux draps
Si le tri est une pratique bien ancrée dans les moeurs genevoises, que faire des tissus abîmés? Aucun point de collecte ne permet leur recuperation
1 Jul 2023

L’été est là. L’occasion de ressortir manches courtes et robes, mais aussi de faire du tri et de se délester de tout ce qui encombre nos placards. Que faire des vêtements et linge de maison dont nous ne voulons plus? Quel point de chute pour nos déchets textiles?

A Genève, 4,5kg de textiles sont déposés par minute dans les 380 conteneurs de récupération communément appelés « boites à fringues ». Gérés par la Coordination textile genevoise, ces bennes ont permis de collecter quelques 2220 tonnes de dons en 2022 (contre 250 en 1994). Une partie seulement des 6 tonnes collectées chaque jour, ira jusqu’aux centres de tri caritatifs tels que Caritas, la Croix Rouge, Emmaus, le Centre Social Protestant ou le Vestiaire Social qui sont livrés à la demande. Les textiles sont alors triés avant d’être redistribués dans les réseaux de boutiques caritatives. Une tâche d’autant plus fastidieuse que 50% des dons qui parviennent aux centres de tri sont irrecevables car abîmés ou de trop mauvaise qualité, déplore Typhaine Guihard, présidente de la Coordination textile genevoise. La moitié est donc écartée et devient un déchet. Les matières synthétiques qu’on ne sait pas recycler sont incinérées à Genève. Quant aux matières naturelles, elles rejoignent les sacs de dons non réclamés par les centres. Le tout sera vendu au poids à Texaid, entreprise de référence dont le siège social se trouve en suisse alémanique, à qui est ainsi confiée la lourde responsabilité de sous-cycler et de gérer les torchons et les serviettes résolument mélangés.

Pour les accessoires, chaussures, vêtements et linge de maison en bon état, troc, revente et dons sont donc possibles. Mais que faire de ceux qui sont endommagés ? Pour éviter qu’ils ne finissent entassés dans le désert d’Atacama au Chili ou sur les montagnes de tissus défigurant les côtes ghanéennes, tout en intoxiquant les populations locales, la poubelle ménagère était jusqu’à maintenant la meilleure alliée, assurant une destruction locale de son contenu. Mais si l’on vise des objectifs de durabilité, il faut faire durer la matière existante. Or, prolonger la durée de vie des textiles ne signifie pas leur accorder une mort lente au bruit des vagues durant des décennies de décomposition, mais en prendre soin de l’achat au débarras. Que faire, alors, de notre chemise élimée, de cette robe irrémédiablement tâchée ou du pantalon troué dont les boites à fringues n’ont pas usage?

C’est la question qu’a posé Mikhail Rojkov du début à la fin de son cursus dans la mode à la Haute École d’Art et Design (HEAD) de Genève. Une question gênante, restée sans réponse, aucune solution n’existant ni à la HEAD, ni à Genève, ni en Suisse. Qu’à cela ne tienne, armé de cartons, il entame son combat en installant des points de récupération et collecte lui-même chaque vendredi au sein de l’école 10kg de rebuts textiles. Son diplôme obtenu, à défaut d’avoir vu son projet soutenu, sa conviction et sa détermination n’ont fait que grandir, à l’image de la pile de tissus qu’il transporte!

Mikhail Rojkov et sa collecte hebdomadaire à l’époque de la HEAD © Histoire Sans Chute

Prêt à en découdre avec l’immobilisme qui l’entoure, le jeune suisso-russe de 27ans se décrit comme « un agent double entré dans le milieu de la mode pour contribuer à résoudre la crise climatique ». Loin de lui l’idée de créer des collections qui scintilleraient sous les projecteurs prestigieux des podiums. Ce qui l’intéresse et qu’il traque sans relâche en créant Histoire sans chutes ce sont les déchets. Ces textiles aux origines, compositions et formes multiples dont nul ne sait que faire – et que d’aucuns se transmettent comme une patate chaude face aux injonctions croissantes à verdir l’industrie textile – ne doivent plus disparaître.

Celui qui n’avait pas prévu de se lancer dans l’entreprenariat s’attelle désormais à un travail de fourmi pour mener à bien son projet titanesque. Après avoir contacté pléthore d’acteurs du secteur, rejoint deux incubateurs, ficelé ses dossiers et décroché plusieurs subventions, il se met en quête de locaux au cœur de Genève. Dans l’intervalle, il assure, gratuitement, des permanences hebdomadaires de réparation textile et aspire à fédérer une équipe prête à porter avec lui le désir d’être responsable et de tisser, ici et maintenant, la toile d’une vraie durabilité.

Rien ne se perd, tout se transforme! Mikhail le sait par sa famille de physiciens et mathématiciens. En s’appuyant sur la « séparabilité des matériaux », il démontre minutieusement que rien ne se perd, tout se récupère et amasse ainsi tissus, boutons et fermetures éclairs. Autant de matières bienvenues qu’il soigne en reprisant et stockant afin de créer au fil des récoltes ce qui devrait devenir la première ressourcerie textile durable du canton, voire du pays. Mikhail se réjouit de célébrer, dès l’automne, l’inauguration de ce lieu inédit à Genève ayant pour première mission d’offrir refuge à toute matière qui ne répondrait pas aux critères de collecte de nos bennes à textiles actuelles.

Plus besoin de mettre à la poubelle une matière qui peut redevenir belle, il est déjà possible de lui confier vos tissus en tous genres et de commencer à écrire un nouveau chapitre d’une histoire sans chute. 

* Laetitia Fabre est rédactrice indépendante, chef de projet et entrepreneur.
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