Dans le documentaire, Les guerrières de la paix, elle retrace le combat de femmes palestiniennes et israéliennes. Son deuxième film raconte le parcours de jeunes juifs et musulmans unis contre le racisme et l’antisémitisme en France. En 2022, elle lance une campagne d’impact « À votre tour ! » pour créer des espaces de dialogues et déconstruire les préjugés.
Qu’est-ce qui vous a amenée à réaliser « Les guerrières de la paix » sur la marche des femmes israéliennes et palestiniennes ?
À l’heure où les divisions se multiplient, j’ai voulu relayer l’engagement extraordinaire et si peu médiatisé de ces femmes qui se sont rassemblées, à l’été 2014, au lendemain de l’opération Bordure protectrice à Gaza, pour inciter les dirigeants à revenir sur la table des négociations. Leur mouvement Women Wage Peace, inspiré par Women of Liberia Mass action for Peace, rassemble plusieurs dizaines de milliers de femmes, de toutes origines et horizons politiques qui œuvrent pour la justice et la paix. En France, le conflit israélo-palestinien a été une source de tensions entre les communautés juives et musulmanes. Il a occupé une place centrale dans les débats dans les cours de récréation comme sur les réseaux sociaux, mais les initiatives porteuses d’espoir sont invisibilisées. Il m’a semblé essentiel de braquer les projecteurs sur ce qui nous rassemble.
Comment est né le mouvement “Les Guerrières de la Paix” ?
En réaction aux fortes tensions intercommunautaires liées aux répercussions du conflit israélo-palestinien, avec des femmes musulmanes et juives nous avons lancé un appel à la paix publié dans le Monde afin que cesse la surenchère de ceux qui, à distance, attisent les haines entre les deux communautés. Nous avons choisi de nous unir pour porter une autre voi(e)x, celle du refus de l’assignation identitaire, du courage et de l’acceptation de l’Autre. Ce mouvement, né en France, rassemble des femmes d’origines, de cultures et de croyances différentes pour faire front commun face à toutes les haines et formes d’ostracisme: sexisme, racisme, antisémitisme, haine des musulmans.
À une époque où les luttes antiracistes sont divisées, opposées, mises en concurrence, où l’entre-soi conforte la solitude haineuse, ce qui empêche la connaissance et la compréhension de l’autre, nous nous engageons sur tous les fronts.
Quels sont vos objectifs ?
Comme le proclame notre manifeste, nous voulons rendre visibles les guerrières du quotidien, ces héroïnes qui déplacent des montagnes et qui, partout, retissent l’espoir. Elles sont les derniers remparts face aux haines qui nous menacent. Nous nous appuyons notamment sur la résolution 1325, adoptée en octobre 2000 par le Conseil de sécurité de l’ONU, qui reconnaît l’impact des conflits armés sur les femmes et les filles et exhorte les états à les protéger et à assurer la pleine participation aux accords de paix. Il importe que les femmes soient entendues et parties prenantes des décisions politiques. Lorsque des femmes sont autour de la table des négociations, on se met plus vite d’accord et la paix est plus pérenne. Bien que nos histoires, nos identités, nos parcours, le contexte politique soient différents, nous avons énormément en commun et c’est sur la base de ce commun que nous voulons construire et organiser une solidarité internationale.
Quels sont vos modes d’action ?
Nous menons des campagnes de sensibilisation, via l’éducation populaire et l’organisation de débats, et des actions conjointes avec d’autres mouvements. En mars dernier, nous avons lancé le Forum mondial des femmes pour la paix qui a réuni au Maroc des femmes activistes du monde entier. En octobre, nous rejoindrons la Marche de nos sœurs palestiniennes et israéliennes.
L’association des termes « guerrières » et « paix » ne brouille-t-elle pas le message ?
Cet oxymore a du sens. Parler de « paix » aujourd’hui, surtout lorsque c’est porté par des femmes suscite une forme de mépris. Comme s’il s’agissait d’un mot creux, naïf. Or, dans un monde de plus en plus polarisé, où chaque « camp » se radicalise, défendre l’idée de devoir aller vers l’autre, de l’écouter, de dialoguer en vue d’une réconciliation, c’est la position la plus radicale qui soit. Ceux qui prennent le risque d’aller vers l’autre et d’être dans la nuance sont souvent très seuls, voire accusés de traîtrise. Il est toujours plus réconfortant de faire bloc avec les « siens ».
Sommes-nous face à une méconnaissance croissante de « l’autre » et à la recrudescence des préjugés ?
Oui, c’est un grand péril. Les graves crises sociales et sociétales qui secouent la France entravent notre capacité à vivre ensemble. Différents « camps » s’affrontent de plus en plus violemment et il y a de moins en moins de place pour l’écoute, le doute et la contradiction. Or quand on ignore l’autre, on ne peut plus se remettre en question, faire preuve d’empathie, être confronté à d’autres récits. Il n’y a pas plus puissant qu’une rencontre. Cela peut ébranler les préjugés et les certitudes. D’où la nécessité de multiplier les espaces de rencontre et de dialogue, de relayer les récits et les témoignages, de réapprendre à nous écouter réellement.
Comment collaborez-vous avec d’autres organisations et acteurs de la paix pour maximiser l’impact de vos actions ?
Nous avons lancé notre mouvement avec la collaboration de l’UNESCO et de l’Alliance des civilisations de l’ONU. Nous avons des projets avec l’Alliance et nous entendons faire en sorte que cette collaboration permette aux guerrières de la paix d’être entendues par les instances internationales afin de donner le plus d’écho possible à leurs engagements.