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Michel Chikwanine aujourd’hui au Canada. © Ryan Bolton

Michel Chikwanine aujourd’hui au Canada. © Ryan Bolton

De la guerre à l’engagement pour les droits de l’homme, histoire d’un enfant soldat
1 Feb 2021

À l’occasion de la journée internationale des enfants soldats, le 12 février, UN Today donne la parole à Michel Chikwanine capturé au Congo (RDC) à l’âge de cinq ans.

Fervent militant des droits de l’homme, doté d’une formidable énergie, il multiplie les occasions de raconter son histoire pour alerter sur le calvaire des millions d’enfants soldats. Vingt-sept ans ans plus tard, l’émotion est encore à fleur de peau lorsqu’il revit cet épisode traumatisant.
Ce jour-là, bien qu’ayant promis à mon père de ne pas traîner en sortant de l’école, je rejoins des copains pour jouer au foot. Un couvre-feu a été instauré par le Président Mobutu mais je suis trop jeune pour mesurer les risques.

Des camions nous encerclent. Des hommes armés surgissent. Ils attrapent des enfants. Je cours rejoindre mon ami Kevin. Du haut de ses 12 ans, il a l’habitude de me défendre et me protéger.

On me frappe à la tête. Je perds connaissance. Je me retrouve à l’arrière d’un camion, sans Kevin. Je pleure. « Si vous ne me laissez pas rentrer chez moi, mon père vous battra. Il est très grand et très fort. » J’admire mon père, un homme aimant et strict. Les hommes rigolent. Je suis terrifié.

J’arrive au camp. Il y a d’autres enfants et des os sur le sol. Un homme entaille mon bras et badigeonne la blessure avec un mixture. J’ai très mal. L’homme me bande les yeux et met une arme dans mes bras. C’est lourd. Je perds l’équilibre. L’homme me relève, se plante derrière moi, place mon doigt sur la détente. Les soldats hurlent : « Tire, tire ». Il appuie sur mon doigt. Le coup part. Un bruit effroyable. On enlève mon bandeau. Je vois le sang, je vois Kevin.

Je viens de tuer mon meilleur ami.

“Si on ne s’attaque pas aux racines des dysfonctionnements de nos sociétés, il y aura toujours des enfants soldats.” 

Michel Chikwanine, ancien enfant soldat

Dans les semaines qui suivent, on nous forme à devenir des soldats-tueurs : lever à l’aube, entraînement physique, maniement des armes. La nuit, je pleure. Une seule idée m’obsède : je dois rentrer, je dois respecter la promesse faite à mon père.

Les soldats décident un jour de piller un village. Ils embarquent quelques enfants pour qu’ils servent d’éclaireurs. A peine descendu du camion, sans réfléchir, je cours en direction de la forêt. Je marche pendant trois jours. Je survis en me souvenant des conseils de mon père : « Si tu te perds dans la forêt, nourris-toi de bananes et suis le cours d’eau … il te mènera à des habitations ». Grâce à ça, j’arrive dans le village où je faisais des courses avec mon père. L’épicier me ramène chez mes parents. On m’hospitalise. Mon père ne me laisse plus sortir sans lui.

Un enfant dans un camp de rebelles dans le nord-est de la République Centrafricaine. © Pierre Holtz / UNICEF car

Les années qui suivent sont très difficiles sur le plan personnel et dans le pays. Mobutu est chassé du pouvoir. Le chef rebelle, Kabila, prend sa place. Il change le nom du pays; le Zaïre devient la République démocratique du Congo. Les conflits donnent lieu à des massacres. Mon père, qui a toujours milité pour les droits de l’homme, est de plus en plus menacé. Il est assassiné en Ouganda. A 12 ans, je perds le pilier de ma vie.

Mes trois soeurs, ma mère et moi émigrons au Canada en tant que réfugiés. A la fin de l’école secondaire, on m’offre un job dans une organisation caritative créée par la célèbre présentatrice américaine Ophra Winfrey afin d’aider les plus démunis. Je découvre avec stupeur qu’il y a des gens très pauvres dans le pays le plus puissant du monde et que des enfants sont contraints de rejoindre des gangs. 

Cette expérience me permet de contextualiser mon histoire, de mesurer les conséquences de l’extrême pauvreté, de comprendre les mécanismes qui engendrent la guerre. Si on ne s’attaque pas aux racines des dysfonctionnements de nos sociétés, il y aura toujours des enfants soldats.

Je travaille aujourd’hui au sein de la fondation Child Soldiers Initiative, créée par le général Romeo
Dallaire qui a dirigé la mission de l’ONU pour l’assistance au Rwanda et je milite dans une association de réfugiés. J’ai raconté mon histoire dans un livre pour enfants afin qu’ils découvrent et comprennent ce que vivent les enfants soldats. Couronné par un prix, ce livre est distribué dans les écoles de l’Ontario et de certains États des États-Unis d’Amérique.

Avant de mourir mon père m’a dit « Ce ne sont pas ceux qui gagnent beaucoup d’argent ou qui ont du succès qui marquent l’histoire mais ceux qui font du bien aux autres ». C’est sur ce socle que je construis ma vie. 

Le recrutement et l’utilisation d’enfants soldats est toujours d’actualité dans une vingtaine de pays. Selon le rapport de l’ONU sur le sort des enfants en temps de conflit armé, plus de 10 000 enfants soldats ont été libérés en 2017 grâce au dialogue avec les forces et les groupes armés.

 

* Muriel Scibilia-Fabre est auteure et ancienne fonctionnaire de la Conférence des Nations Unies sur le Commerce et le Développement (CNUCED).
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