Issu d’une famille polygame de 38 enfants, Aboubacar Doumbia nait à Divo (Côte d’Ivoire) en décembre 1974. Son père, commerçant, estimait que ses filles étaient plus vulnérables et qu’il était donc important de les « armer » en les scolarisant. Concernant ses fils, sa position était bien différente. Il considérait que les garçons naissent « homme » et doivent se battre pour s’en sortir.

Vous étiez très jeune lorsque vous avez commencé à travailler.

Dès l’âge de 10 ans, je travaillais le weekend comme cireur de chaussures. Je donnais une partie de mes gains à ma mère et le reste servait à payer mon déjeuner et mon goûter pendant la semaine. L’école étant à quatre kilomètres de notre lieu d’habitation, il était exclu de rentrer en cours de journée. La seule solution était d’acheter quelque chose aux marchandes installées en face de l’établissement scolaire. Mais comme nous étions très nombreux et que la priorité était donnée aux filles et aux aînés, je devais me débrouiller pour avoir de quoi payer ma nourriture.

Vous luttez activement contre le travail des enfants depuis près d’une décennie. On imagine que c’est votre expérience personnelle qui motive ce combat.

Je regrette d’avoir été contraint au travail alors que j’aurais préféré jouer. J’estime que tout enfant doit être libre de conserver son innocence, d’avoir des activités de son âge et de suivre une scolarité normale.

Votre père ne vous a pas laissé finir vos études.

A la fin de ma 3ème, il a été décidé que je devais apprendre un métier qui permettrait de contribuer aux besoins de la famille. C’est ainsi que j’ai été envoyé chez un oncle à Abidjan.

Cet envoi vers la capitale économique de la Côte d’Ivoire a été le début d’un parcours atypique avec comme étapes importantes New York, Paris et la cité de Calvin, d’où votre nom de scène « Abou Nidal de Genève ».

J’ai vécu quelques années en Suisse avant de rencontrer le succès comme auteur-interprète de « coupé-décalé ». Ce courant musical auquel sont rattachés danse, art vestimentaire et comportement de vie a été lancé en Côte d’Ivoire aux débuts des années 2000. Ce concept est rapidement devenu populaire auprès des adolescents.

Vous avez acquis la notoriété grâce à une musique qui, au départ, faisait l’apologie d’une existence légère, mais parallèlement vous avez toujours défendu des causes très éloignées de la superficialité.

Certes, je suis un artiste. Mais ma famille m’a inculqué le respect, la tolérance et l’importance du dialogue. Je profite de l’influence que je peux exercer sur un public jeune pour partager une partie de mon expérience de vie.

En matière d’activisme social, vous avez commencé par vous investir dans le domaine de la santé. En 2020 vous avez composé une chanson sur la Covid pour informer les populations sur les gestes barrières conseillés par l’OMS.

C’est exact. J’ai commencé à utiliser ma célébrité pour participer à la lutte contre le VIH/Sida et soutenir les malades. Mon public étant essentiellement composé de jeunes gens, il me semblait évident de les associer à ce combat en les informant sur la maladie. En 2021, l’efficacité des actions de proximité du « Wara Tour » a été reconnue par le Ministère de la santé. Notre contribution a été demandée pour encourager la jeunesse à se vacciner contre la Covid-19, raison pour laquelle je me suis fait vacciner en public.

Vous venez d’évoquer le « Wara Tour », caravane de sensibilisation à l’éducation de qualité dont vous êtes l’initiateur. Vous avez même composé un hymne intitulé, « Va à l’école ! ». Pouvez-vous nous en dire plus ?

Depuis 6 ans cette campagne itinérante dont le slogan est « Eduquer – Encourager – Divertir », célèbre l’école et l’excellence en milieu scolaire. Au cours des deux tournées annuelles, des kits scolaires, des cartables solaires, des tablettes tactiles, des ordinateurs sont offerts aux meilleurs élèves des villes traversées. À chaque visite je prends le temps de m’adresser aux élèves et à leurs parents pour expliquer l’importance de suivre une scolarité complète.

Vous n’hésitez pas à aborder aussi la question des maux qui minent l’école.

L’absentéisme, la drogue, le tabagisme, les grossesses précoces, l’intolérance, l’augmentation de la violence en milieu scolaire sont des phénomènes qui se sont aggravés au fil des ans. Les conséquences de la pandémie, et de la crise sociale qui en découle, touchent en premier les plus démunis. Il est donc primordial de les soutenir matériellement mais aussi en rappelant l’importance de vraies valeurs.

Comment êtes-vous devenu défenseur des objectifs du développement durable ?

En réalité, je défendais les 17 objectifs du développement durable de l’ONU à l’horizon 2030 avant même de connaître leur existence. Ils résument parfaitement des urgences du terrain auxquelles il faut contribuer pour améliorer le bien-être des nations. Cette année le « Wara Tour » mettra l’accent sur l’accès à l’eau propre et à l’assainissement, ainsi que sur la lutte contre le changement climatique dont on constate les conséquences dans la région. Des puits seront creusés à proximité des écoles visitées et des arbres seront plantés par les enfants.


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