S’il fallait choisir un mot pour parler de l’œuvre du sculpteur Sandrine Plante, Cri serait le terme le plus approprié.

Un cri, viscéral, puissant qui traverse les corps de terre, défigure les visages, interpelle les visiteurs. C’est le cri de millions d’humains réduits en esclavage à l’époque de la traite négrière. Un cri poussé aujourd’hui dans un silence retentissant par ces millions de victimes des formes contemporaines de l’esclavage.

Raconter l’histoire de ces êtres déracinés, vendus, maltraités, jetés par-dessus bord, privés de tout même de leur nom, de ces vies volées, telle est la mission que s’est donnée Sandrine Plante, elle-même descendante d’esclaves.

Ses statues puissantes, d’un réalisme troublant, interpellent, entrent en résonnance avec notre part d’humanité, dérangent parce qu’il reste difficile de restituer la mémoire de l’esclavage tant cette page peu glorieuse suscite de réticences, voire la revendication d’un droit à l’oubli.

« Sortir de l’ombre ces vies volées, leur redonner une place… opérer des guérisons symboliques. »

C’est en découvrant la terre de ses ancêtres, à la Réunion, que l’artiste réalise qu’il est toujours honteux de descendre d’esclaves. La persistance d’un tel tabou la conforte dans sa volonté de ne pas se taire, de se faire l’écho de ces souffrances, de sortir de l’ombre ces vies fracassées, de leur redonner une place, notamment dans les villes de mémoire comme Gorée au Sénégal qui servait de centre de tri ou Bordeaux, deuxième port négrier.

Une histoire qui imprègne nos imaginaires et alimente certaines théories racistes.  Restaurer la dignité de millions d’anonymes, rendre hommage aux ancêtres, c’est ce qui anime cette pétillante jeune femme pour qui l’art sert à porter un combat. Une conviction si ancrée qu’elle n’a pas besoin de modèles pour créer ses bouleversantes statues. C’est l’étoffe de ses rêves enrichie de multiples lectures qui lui sert de matière première. Des rêves étonnants au cours desquels il lui arrive de retrouver un personnage, de suivre son parcours ou de le croiser aux différentes étapes de sa vie.

 Il lui suffit de plonger ses mains dans la terre pour que naissent ces statues techniquement parfaites et furieusement expressives dont les souffrances ou la tristesse sont palpables. « Dès que j’ai touché la terre, à huit ans, j’ai eu l’impression qu’on se comprenait, et que je pouvais aller plus loin », se souvient l’artiste. Un dialogue constant qui lui permet de retracer les étapes significatives du parcours des esclaves : capture, séparation, vente, arrivée en terre hostile.

Les statues, de taille humaine, sont porteuses d’un message de dignité gravé dans la terre afin de remettre les choses à leur place, d’inscrire cette histoire, d’opérer des guérisons symboliques.


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