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C’est en faisant équipe sur des objectifs vitaux pour tous que l’on sera le mieux à même de se découvrir mutuellement au-delà des oppositions et des conflits © Shutterstock

Le Sommet de l’Avenir sortira-t-il les jeunes des impasses?
Les priorités politiques actuelles poussent les jeunes vers des impasses sociales, écologiques et sécuritaires
2 Sep 2024

Notre monde compte 3,2 milliards de jeunes de moins de 24 ans dont 2 milliards de moins de 14 ans. Que sera leur vie ? Quel héritage leur laisserons-nous ?

Alors que nous leur léguons les plus grandes avancées technologiques et institutionnelles qu’une génération n’ait jamais conçues, nous pourrions être la première génération de l’Histoire humaine à laisser à ses descendants une situation pire que celle héritée de ses parents – où que l’on soit sur Terre – car chargée de risques immenses en termes de qualité de vie : bouleversements climatiques, perte de biodiversité, pollutions, inégalités criantes, migrations massives, pandémies, insécurité militaire et criminelle… Bien que les adultes d’aujourd’hui soient la première génération à avoir disposé de capacités et moyens à même de venir à bout de la faim, la pauvreté, des guerres, des inégalités et de nombre de maladies, les médias et réseaux sociaux inondent les jeunes de nouvelles déprimantes sur les évènements climatiques extrêmes, les famines, les pandémies à venir et des guerres qui tuent, handicapent des innocents et détruisent en un éclair le travail de toute une vie…

Presque 80 ans de coopération internationale, où l’ONU a joué un rôle crucial, ont permis des avancées sans précédent dans de nombreux domaines. Ainsi, sous l’impulsion des Objectifs du Millénaire pour le Développement, la proportion de personnes souffrant de pauvreté a été réduite de plus de la moitié ce qui a encouragé en 2015 les Etats à oser, pour la première fois, s’engager à éradiquer la pauvreté sous toutes ses formes – et ce, au plus tard en 2030 ! Mais entretemps la gestion de la pandémie de Covid19, la guerre en Ukraine, les attentats du Hamas et la réplique israélienne à Gaza, les attaques des Houtis en Mer Rouge, les tensions commerciales entre l’Est et l’Ouest, pour ne citer que quelques exemples, ont relancé la course aux armements et détourné de précieuses ressources nécessaires au développement vers les budgets militaires, l’aide d’urgence, le désendettement et la lutte contre l’inflation. Le Programme 2030 – pour un monde prospère et sain, ne laissant personne de coté – a déraillé, et les faiblesses du système onusien se révèlent au grand jour face aux fortes attentes de la société civile mondiale en matière de paix, justice, prospérité, démocratie et développement humain.

Dans ce contexte, nous ne devons pas sous-évaluer la portée potentielle du Sommet de l’Avenir qui réunira à New-York les plus hauts représentants des Etats membres de l’ONU les 22 et 23 septembre. La négociation qui le précède pour faire naître un « Pacte pour l’Avenir » pourrait être une des rares opportunités de remettre sur les rails les dynamiques positives sorties de leur trajectoire, d’entrevoir une sortie des conflits, et d’affronter les défis nouveaux posés à l’humanité entière par l’innovation technologique.

Certes, il est difficile d’imaginer pire moment pour réformer l’ONU et l’adapter aux défis du deuxième quart du 21ème siècle. Les tensions sont à leur comble. La prolifération nucléaire gagne du terrain. Le cynisme, la fuite en avant, les jeux d’égos, les idéologies, les bras de fer machistes, les crédos économiques divergents, les intérêts myopes se mêlent aux revendications légitimes d’un ordre mondial qui mette enfin tous les peuples sur un pied d’égalité, compliquant l’équation politique à résoudre. Comment, dans ce contexte tendu, imaginer une remise en question du droit de veto au Conseil de Sécurité, la soumission volontaire de tous les Etats aux décisions de la Cour Internationale de Justice, ou encore trouver les investissements nécessaires à la pleine réalisation pour tous des Objectifs de Développement Durable (ODD) ?

Le Sommet de l’Avenir est un pari sur la raison et la sagesse. Avec la croissance démographique inédite de ces 50 dernières années et compte tenu de l’empreinte écologique moyenne d’un humain même entachée de disparités criantes, nous sommes entrés de plein pied dans l’ère de l’interdépendance entre tous les membres de la « famille humaine ». Si l’impact de certains périls affectera davantage les plus pauvres, il n’empêche que les privilèges et la richesse ne protègeront personne de certains désastres. Il est donc dans l’intérêt de tous et de chacun (gouvernements, collectivités territoriales, entreprises, associations, individus…) de travailler de concert avec les autres, tous pays confondus, même ceux en conflit, pour pouvoir surmonter les obstacles à la survie et au bien être, donc de relancer le Programme 2030 et de remodeler, ne serait-ce que par petites touches successives, les institutions multilatérales (ONU et institutions financières internationales) pour permettre à l’humanité de naviguer sans trop de dégâts à travers le 21ème siècle et d’offrir une perspective de vie positive à la jeunesse actuelle. C’est en faisant équipe sur des objectifs vitaux pour tous que l’on sera le mieux à même de se découvrir mutuellement au-delà des oppositions et des conflits, de comprendre que l’on partage un destin commun, et de surmonter les divergences autrement que par la force.

Se pose dès lors une double question. D’une part, les Etats parviendront-ils à se mettre d’accord sur comment mettre en œuvre le Programme 2030, comment restructurer la finance internationale, comment garantir une résolution pacifique de tout conflit, comment mettre fin au terrorisme et à la criminalité organisée, comment parvenir enfin au désarmement nucléaire, comment structurer le multilatéralisme du 21ème siècle ? D’autre part, respecteront-ils la lettre et l’esprit du Pacte sur lequel ils s’engageront – condition sine qua non pour réaliser les 17 ODD et non les enterrer ?

Faut-il donc, à l’instar de la Campagne du Millénaire, initiée en 2002 par le Secrétariat de l’ONU en consultation avec les institutions et programmes des Nations Unies, lancer dès le 24 septembre une nouvelle initiative inter-institutions de réseautage mondial (fonctionnant, comme la précédente, à distance du système des Nations Unies) afin de garantir une pleine appropriation par les sociétés civiles de chaque pays et par les institutions nationales du consensus auquel leurs dirigeants seront parvenus ?

L’engagement citoyen est également nécessaire pour modifier les règles commerciales internationales et pour porter à un niveau adéquat l’aide publique au développement des pays « riches ». Certes, l’aide ne peut « acheter » les ODD, mais sans son augmentation beaucoup de pays en développement ne seront pas en mesure d’opérer les transitions nécessaires et de faire leur part des efforts relatifs aux changements climatiques. Les guerres en cours mobilisent facilement des dizaines de milliards auparavant introuvables pour l’aide au développement qui stagne autour de 0,37% du PIB combiné des pays membres de l’OCDE, très loin des 0,7% qui devaient y être consacrés à partir de 1975 et du 1% à partir de 1980 !

Cette initiative onusienne inter-institutions destinée à stimuler la participation citoyenne serait cohérente avec la « Déclaration aux futures générations » qui devrait être annexée au Pacte sur l’Avenir et matérialiserait la volonté de ne pas cruellement tromper les jeunes d’aujourd’hui sur la considération que leur vouent les dirigeants actuels.

Que l’on ne se trompe pas : nous sommes à l’aube d’une nouvelle ère. Nous avons vécu les transformations les plus profondes et rapides de l’Histoire, mais ce qui s’annonce avec l’intelligence artificielle et ce qui devient possible sont des transformations d’une ampleur sans commune mesure avec ce que nous avons connu. Tant il est vrai qu’un Pacte sur le numérique devrait être aussi annexé au Pacte sur l’Avenir, et que ce dernier tente de dissuader quiconque de militariser l’espace extra-atmosphérique ou de produire, comme il est possible désormais, des armes terrestres autonomes.

C’est dire que le Sommet de l’Avenir risque d’être notre ultime chance de ne pas ruiner l’avenir des 2 milliards de jeunes sous notre responsabilité.  

* Jean Fabre est ancien adjoint du Bureau du PNUD à Genève.
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